Hommage national à Ernest Solvay. Inauguration du monument 16 octobre 1932
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Hommage national à Ernest Solvay. Inauguration du monument 16 octobre 1932
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Titre
Hommage national à Ernest Solvay. Inauguration du monument 16 octobre 1932
Créateur
Pas de mention d'auteur
Contributeur
Huymans, Paul
Langevin, Paul (1872-1946) (1872-1946)
Langevin, Paul (1872-1946) (1872-1946)
Date
1933
Type
Document dactylographié
Format
Fascicule broché imprimé, 16,8 x 25,7 cm
Langue
fre
Description
Fascicule broché, 47 pages numérotées, couverture papier cartonné gris virant au marron.
Sujet
Physique
Commémorations
Hommage
Institut Solvay
Commémorations
Hommage
Institut Solvay
Couverture temporelle
1901-2000
Est une partie de
Fonds Paul Langevin
Source
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Bibliothèque
L9/03
L9/03
Droits
Domaine public
Détenteurs des droits / Numérisation
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris
Université PSL
Université PSL
Identifiant
ark:/18469/26fj
Coverage
20e siècle, Europe
content
\r ^ T)o > sì e_r L___________ j HOM M AGE N A TIO N A L A ERNEST SOLVAY IN A U G U R A T IO N D U M O N U M E N T 16 O C T O B R E i 9 3 2 B R U X E L L E S ig33 ESPÉ?" L ^ | o 3 H O M M A G E N A T I O N A L A E R N E S T S O L V A Y HOM M AGE N A TIO N A L A E R NE ST SOLVAY I N A U G U R A T I O N D U M O N U M E N T 16 O C T O B R E ig 3 2 B R U X E L L E S 1933 ESr ^ 1 L 3 !o3 Un groupe de Membres du Comité National de Secours et d ’Alimentation ( 1 9 1 4 - 1 9 1 8 ) ainsi que du Corps professoral de l ’Université libre de Bruxelles se réunit le 7 décembre 1 9 2 5 et obtint l ’adhésion des personnalités qui formèrent le C o m ité d ’ h o n n eu r et le C o m ité e x e c u t if de la MANIFESTATION NATIONALE DE RECONNAISSANCE A E R N E ST SO LV A Y SOUS LE HAUT PATRONAGE DE SA MAJESTÉ LE ROI ET LE PATRONAGE DU GOUVERNEMENT composé de MM. H. J a spa r , Premier Ministre, Ministre de l’Intérieur et de l’Hygiène; E. V a n d e r v e l d e , Ministre des Affaires Etrangères; P. H ym a n s , Ministre de la Justice; C. H u ysm an s , Ministre des Sciences et des Arts; le Baron M. H o u ta rt , Ministre des Finances et Ministre des Colonies; H . B a e l s , Ministre de l’Agriculture et Ministre des Travaux Publics; J. W a u t e r s , Ministre de l’Industrie, du Travail et de la Prévoyance Sociale; E . A n s e e l e , Ministre des Chemins de Fer, Marine, Postes, Télégraphes, Téléphones et Aéronau tique; le Comte Ch. de B r o q u ev ille , Ministre de la Défense Nationale; E . F r a n c q u i , Ministre, Membre du Conseil. 9 COMITÉ D’HONNEUR : Présidents : *¡* Son Eminence le Cardinal M e r c ie r , Arche vêque de Malines; Comte A. t’KiNT de R o o d en bek e , Pré sident du Sénat; M. E. B r u n e t , Président de la Chambre des Représentants, Ministre d’Etat. Membres : S. E. M. le Marquis de V illa lo b a r et de G u im a r ey , Ambassadeur extraordinaire et Plénipotentiaire de S. M. le Roi d’Espagne, Ministre protecteur du Comité National de Secours et d’Alimentation ; M. B r a n d W h it l o c k , ancien Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, Ministre protecteur du Comité National de Secours et d’Alimentation. Les Ministres d’Etat : MM. G. C o o rem an ; le Baron E. B e y e n s ; le Comte C arton de W ia r t ; A . V a n d e V y v e r e ; M . L e v i e ; A. M a x , Bourgmestre de la Ville de Bruxelles; le Vicomte P. B e r r y e r ; L . B e r t r a n d ; J. R e n k in ; L . D e l a c r o ix ; C . M a g n e t t e ; A . B r a u n ; G . T h e u n is ; F. M asso n ; le Vicomte P o u l l e t . Les Gouverneurs des Provinces : MM. le Baron G. H o lvo et , d’Anvers; le Baron de B eco , du Brabant; le Baron L. E. J an ssen s de B ist h o v en , de la Flandre occiden tale; le Comte A . de K erch o v e de D e n t e r g h e m , de la Flandre orientale; M. D a m o is e a u x , du Hainaut; G . G r é g o ir e , de Liège; le Comte Ch. de R e n e ss e , du Lim- bourg; le Comte C. de B r ie y , du Luxembourg; le Baron P. de G a if f ie r d ’HESTROY, de Namur. io Les Représentants des Universités Belges : MM. A. B r a c h e t , Recteur de l’Université de Bruxelles; G. V an d en B o ssch e , Recteur de l’Université de Gand; E. P rost , Recteur de l’Université de Liège; Monseigneur P. L a d e u z e , Recteur de l’Université de Louvain. Pour le Comité National de Secours et d ’Alimentation : MM. L. V a n d er R e s t , Vice-Président du Comité National; J. J adot , Vice-Président du Comité National; L. F r a n c k , Président du Comité de la Province d’Anvers; le Comte J. de M éro d e , Président du Comité de la Province de Bra bant; M. H a l l e t , Président du Comité de l ’Agglomération bruxelloise; le Baron A . R u z e t t e , Président du Comité de la Flandre occidentale; le Comte J. de H e m p t in n e , Président du Comité de la Flandre orientale; A . H a r m ig n ie , Président du Comité de la Province de Hainaut; J. V an H o eg a e r d e n , Secrétaire général du Comité de la Province de Liège; F. P o rtm ans , Président du Comité de la Province de Lim- bourg; le Baron A. G o f f in e t , Président du Comité de la Province de Luxembourg; le baron A . d ’HuART, Président du Comité de la Province de N am ur; le Chevalier E. de W outers c I’O p l in t e r , Vice-Président du Comité Exécutif du Comité National; F. V an B r é e , Vice-Président du Comité Exécutif du Comité National. Les Représentants des Universités étrangères et Sociétés savantes : Madame C u r ie ; MM. G. W e r n e r , Recteur de l’Université de Genève; Ch. A d am , Recteur de l’Université de Nancy, Membre de l’Institut de France; le Professeur J. P. L a l l e m a n d , Président de l’Académie des Sciences de Paris; le Professeur Ch. R ic h e t , Membre de l’Institut de France; le Professeur H. A . L o r e n t z , de Leyde, Président de l’Institut International de Physique Solvay; le Proies- seur W. P ope , de Cambridge, Président de l’Institut Inter national de Chimie Solvay; le Professeur R. A . M i l l ik a n , de Chicago; le Professeur F. S w a r ts , Directeur de la Classe des Sciences de l’Académie Royale de Belgique. CO M ITÉ E X É C U T IF : Président: M. E. F ran cq u i , Ministre, Membre du Conseil, Président du Comité National de Secours et d’Alimentation. Vice-Présidents : MM. M. V a u t h ie r , Président du Conseil d ’Administration de l’Université de Bruxelles; A. N e r in c x , Professeur à l’Université de Louvain. Membres : MM. J. B o rd et , Professeur à l’Université de Bruxelles; M. B ourq uin , Professeur à l’Université de Bruxelles; P. B r u y l a n t s , Professeur à l’Université de Lou vain; F. C a t t ie r , Trésorier de la Fondation Universi taire; E. C olson , Professeur à l’Université de Liège; O. D ony -H e n a u l t , Professeur à l’Université de Bruxelles; L. A . G e sc h è , Professeur à l’Université de Gand; M. H a l l e t , Député, Président du Comité National de Secours et d’Alimentation de l’Agglomération bruxelloise; Ch. L e f e b u r e , Ingénieur; E. M ah a im , Directeur de l’Insti tut Solvay de Sociologie; P. M iso n n e , Président du Conseil de Surveillance de la Société Solvay & C ie; W . M u n d , Professeur à l’Université de Louvain; P. P a st u r , Membre de la Députation permanente du Hainaut; A. S lo sse , Directeur de l’Institut Solvay de Physiologie. Secrétaire général : M. J. W il l e m s , Secrétaire de l’Uni versité de Bruxelles; puis, M. le Professeur F. L e b l a n c , de l’Université de Bruxelles. 12 C ’est le dimanche 1 6 octobre 1 93 2 , à l’avenue des Nations, qu’eut lieu, en présence de S. M. le Roi et de S. A . R. le Duc de Brabant, l’Inauguration du Monument dédié à la mémoire d ’Ernest Solvay et élevé par souscription nationale. Une assistance nombreuse avait tenu à honorer de sa présence cette heure entre toutes émouvantes : les Membres du Gouvernement, de la Chambre des Représentants, du Sénat, de la Magistrature, les Repré sentants du Corps Diplomatique, les Ministres d ’Etat, les Gouverneurs des Provinces, les Représentants des Universités belges, étrangères et des Sociétés savantes, les Membres du Comité National de Secours et d ’A li mentation et d ’autres Personnalités encore et les membres de la famille Solvay. Il n ’est pas besoin d ’insister sur le haut prestige de la cérémonie que sa simplicité même rendait plus riche encore de signification, et que trois discours de tons différents illustrèrent d’une manière également saisissante. Les présentations terminées, M. Paul Hymans, Ministre des Affaires Etrangères, monte à la tribune, placée face au Roi, et prend la parole au nom du Gouvernement. *3 DISCOURS PRONONCE PAR M. le Ministre Paul H YM A N S Nous sommes réunis aujourd’hui pour glorifier la mémoire d ’un homme qui exerça sur le mouvement économique et intellectuel de son temps, une féconde et salutaire influence. Ernest Solvay appartient à la génération qui suivit de près la proclamation de l ’indépendance nationale et d ’où surgit une élite qui construisit et anima la Belgique contemporaine. Il a laissé après lui des œuvres durables auxquelles son nom demeure attaché. E t l’histoire de ses travaux offre l ’exemple resplendissant d ’un effort passionné, d ’une volonté tendue sans relâche vers le perfection nement de la production et de la science, de l ’individu et de la société. Solvay fut un créateur d ’industrie et de richesse, un penseur inspiré de la perpétuelle impatience de connaître et de découvrir, un bienfaiteur qui suscite, encourage et soutient les initiatives. E t son existence a ce trait magnifique qu’il n ’a jamais cherché la fortune, ou le pouvoir, ou la renom mée, et qu’il les a trouvés dans l ’accomplissement *5 d ’un devoir de conscience, dans l ’irrésistible expan sion d ’une force intérieure qui le poussa depuis l ’ado lescence à réfléchir, à approfondir les mystères de la matière et de l’énergie, à tenter d ’en saisir et définir les lois, à rendre les conditions de la vie plus douces, plus logiques et fructueuses. C ’est un réalisateur et un théoricien. Il a le sens pra tique du chef d ’industrie et l ’élan presque mystique du rêveur qui poursuit le fantôme de la vérité totale. Ce n ’est pas un savant, mais la science allume en son âme un foyer qui ne s’éteindra pas. Il débute sans diplôme, dans une usine à gaz, où des expériences, inspirées par l’instinct et la pratique, l ’amènent à la découverte d ’un procédé qui révolu tionnera l ’industrie : la fabrication de la soude par l’ammoniaque. Il le fait breveter, trouve des appuis, notamment celui d ’un homme d ’Etat, Eudore Pir- mez, qui aimait la chimie et joignait les affaires à la politique, et il fonde à Couillet, en 1 86 3 , son premier établissement, avec le concours de son frère Alfred, qui fut le collaborateur fidèle et éclairé de toutes ses entreprises. Les commencements furent difficiles, mais on gra vit la pente. En 1869, les bâtiments furent dédoublés et la production triplée. C ’est la victoire. Elle éclate au dehors. Des associés s’offrent de toutes parts, des usines se fondent. La production de la soude, dont les applications sont innombrables, se multiplie, et le prix se réduit au point de ne présenter bientôt qu’un tiers, aujourd’hui à peine un quart du prix d’autrefois. L ’industrie nouvelle procure à l ’humanité une économie annuelle de centaines de millions. Elle étend ses rameaux dans les principaux pays d ’Europe et aux 16 Etats-Unis. E t de cet énorme monopole jaillit une fortune prodigieuse qui sera consacrée à la science et aux œuvres sociales. Les travaux de Solvay dans le domaine de la phy siologie et de la chimie, de la sociologie et de l’éco nomie politique, révèlent l ’autre aspect de l’homme qu’une impérieuse vocation spirituelle attire dans les avenues profondes de l ’investigation et de la spécula tion scientifique. « Homme de science, a-t-il dit de lui-même, je n ’ai » pas le bonheur de l ’être; je n ’ai pas reçu l ’éducation » classique, mais je n ’ai pas cessé de poursuivre un » but scientifique, parce que j ’aime la science et que » j ’attends d ’elle le progrès de l ’humanité. » Il ne se spécialise pas. Il veut aller au fond et au bout. C ’est la vie même, l ’électricité où il discerne une de ses forces, l ’univers, le tout, qu’il entend péné trer, comprendre, expliquer. Il a des intuitions qui devancent l ’expérience; l’imagination stimule le raisonnement. « Il faut, dit- » il, pousser le plus loin possible le rendement théo- » rique. C ’est en poussant les choses à l’idéal, à » l’absolu, que la lumière se dégage. » Il bâtit des systèmes auxquels il donne des déno minations neuves et expressives : le productivisme, l’énergétique, le comptabilisme, le chômage-capaci- tariat. L ’idée est souvent audacieuse, toujours orientée vers l ’amélioration des conditions de l ’existence indi viduelle et sociale. Mais la théorie se double de l ’action. E t le penseur bientôt forgera les outils nécessaires à la vérification de ses hypothèses et au développement des études dont il a tracé les directions. U Un jour, Solvay rencontre le docteur Héger. Il se lie bientôt avec lui. Héger aussi est un animateur que brûle le feu de la recherche et de l’innovation. Une attraction réciproque unit les deux volontés et leur rapprochement aboutit à l ’élaboration d’un vaste plan constructif. L ’Université Libre de Bruxelles, dont les tendances correspondent aux convictions de Solvay, a besoin de laboratoires et d ’instituts. Guidé par Héger, Solvay dote l ’Université de l ’Institut de Physiologie. Plus tard il lui donnera l ’Ecole Supérieure de Commerce, puis l ’Institut de Sociologie. Et pour diriger celui-ci, il trouve un homme jeune et rempli de promesses, Waxweiler, qui fera de l’Institut un centre de vi brante activité, où se formera une école d’économistes et de sociologues préparés par des méthodes nouvelles à l’étude des phénomènes et des problèmes de l’état social dans la Belgique du vingtième siècle. L ’Université, à l ’administration de laquelle j ’ai l ’honneur d ’appartenir, m ’a prié d ’ajouter ici l’ex pression de sa reconnaissance à l ’hommage solennel que nous rendons aujourd’hui à celui qui fut l’un des siens, et des plus grands. Solvay parachève son œuvre en fondant à Bruxelles deux Conseils suprêmes de savants, recrutés dans une glorieuse élite, les Instituts Internationaux de Chimie et de Physique. Il y assemble des maîtres illustres, adonnés à la science pure qui, indifférente aux appli cations pratiques, poursuit avec sérénité, à travers les brumes de l’inconnu, la vérité pour la vérité et entre prend de déchiffrer les énigmes de la substance et de la vie universelle. Mais les problèmes immédiats et positifs de la vie 18 quotidienne et nationale ne lui demeurent pas indif férents. E t sans devenir jamais un homme de parti, il devient pour quelque temps un homme politique. A deux reprises il se laisse porter au Parlement. C ’est au libéralisme qu’il appartient par les racines de sa pensée. Il siège quelques années au Sénat et, sur le sys tème électoral, l ’instruction publique, le régime du travail et ses relations avec le patronat, il parle avec l’autorité d ’une conscience libre, mûrie par l’expé rience et la méditation. Il préconise la multiplication de la production, le bon marché, l ’exacte adaptation des facultés techni ques, la prédominance de l’intelligence dans la direc tion, la réalisation de l’égalité au point de départ par l’augmentation progressive de l’impôt successoral, et il suggère une sorte de socialisation du capital par la participation de l ’Etat dans la formation des sociétés productrices. Tout doit tendre à la production et à la consomma tion. L ’homme doit être mis à même de fournir son rendement maximum. Dans cette formule, Solvay enveloppe sa conception du progrès et du bien-être. Il expose ses théories avec une complète indépen dance, demeurant fidèle au parti qu’il a choisi et n ’hésitant pas, d ’autre part, à soutenir par de larges dotations une entreprise socialiste, la Centrale d’Edu- cation ouvrière, destinée à fournir des chefs et des administrateurs compétents aux organisations de la classe populaire. Le drame de l’invasion remplit ses dernières années d ’une émotion sacrée qui lui dicte un geste de patrio tique solidarité. Il constitue, en août 1 9 1 4 , le Comité National de Secours et d ’Alimentation qui, sous la direction éner gique et vigilante de M. Francqui, assura la subsis tance et la résistance du peuple belge pendant les épreuves redoutables de l’occupation étrangère. Telle fut cette pleine et robuste existence, où la fortune, les honneurs, une popularité spontanée récompensèrent les vertus de l’action et les beautés de l’inspiration. Solvay s’expliquant un jour devant ses amis et ses collaborateurs dit simplement ces mots qui éclairent tout l ’intérieur de l ’être moral : « J ’ai vécu dans le souci » intime du savoir, dans le désir incessant de connaître » ce qui est, ce que nous sommes, ce qu’est l’univers, » ce qu’il est dans son fonctionnement éternel ». Cette confession d ’un matérialiste a comme un accent religieux. Ce déterministe convaincu s’était construit une superbe idéologie où rayonne l’amour de la vérité, de la justice et du bien. L ’œuvre positive de Solvay survit. Ce fut un fon dateur. L ’homme n’est pas oublié. Beaucoup de ceux qui sont ici l’ont connu et aimé. Il était sans faste et sans vanité, d’un abord naturel et cordial. Il ne prisait ni le luxe, ni les cérémonies. Il trouvait sa meilleure dis traction dans l’ascension des cîmes alpestres. Il respi rait à l ’aise dans les altitudes. Sa vie est une leçon d ’énergie. Elle mérite, par sa noblesse morale, le respect des jeunes générations autant que la reconnaissance des anciens. Que la Ville de Bruxelles conserve pieusement ce monument qui en perpétuera le souvenir. Nous lui en remettons la garde. Sur ces derniers mots de M. Paul Hymans, on enlève le voile qui recouvrait le Monument, et l ’œuvre du sculpteur Egide Rombaux et de l ’archi tecte Blomme apparaît aux yeux de l ’assistance. ErnestiSolvay se présente dans l’attitude du penseur. Il est assis, et sa main supporte un front tout entier tourné vers sa tâche immense. Une visible émotion étreint l ’assemblée. M. Adolphe Max adresse alors, au nom de la Ville de Bruxelles, son hommage à Ernest Solvay. M. Paul Langevin, professeur au Collège de France, président de l ’Institut International de Phy sique Solvay, prendra ensuite la parole au nom des Savants étrangers et des Sociétés savantes. 23 DISCOURS PRONONCÉ PAR M. le Bourgmestre Adolphe M AX C ’est avec émotion que je prends ici la parole pour accepter, au nom de la Ville de Bruxelles, la garde de ce monument aux lignes sobrement conçues par l ’ex cellent architecte Blomme et dans lequel revivent, sous le ciseau prestigieux d ’Egide Rombaux, les traits de l ’un de nos compatriotes les plus éminents, les plus respectés, les plus aimés. Ma pensée se reporte à dix ans en arrière, quand, le 26 mai 1 9 2 2 , nous apprîmes que, sans souffrance et sans secousse, venait de se terminer une généreuse existence, une noble vie, tout entière consacrée à la Science, au Progrès et au Bien. Ce jour-là, on sentait qu’un deuil vraiment national inspirait le concert de louanges saluant d ’un légitime tribut de gratitude l ’inoubliable mémoire de ce grand Belge qui, sereine ment, modestement, comme il avait vécu, venait d ’entrer dans l ’immortalité. Sans distinction de parti, toutes les opinions s’empressaient de lui rendre hommage. Les uns lui 25 vouaient un culte presque filial en songeant que cette belle figure constituerait à tout jamais un des plus hauts symboles du libéralisme. D ’autres se plaisaient plus particulièrement à mettre en évidence son altruisme et les efforts constants qu’il avait pro digués pour l’amélioration des conditions sociales. D ’autres enfin disaient sa simplicité, son équité. Partout, et dans les sphères les plus élevées comme dans les classes les plus pauvres, l’évocation de ce Sage, de ce Juste, était environnée d ’un rayonnement de bonté, ainsi qu’il l ’avait souhaité quand, expli quant à sa manière cette magnifique mission d ’éman cipateur et de précurseur qu’il avait assumée, il déclarait : « Je ne saurais vivre sans m ’éclairer, sans chercher à projeter de la lumière ». Paroles saisissantes, qui honorent l’homme qui les a prononcées non moins qu’elles ennoblissent le pays qui en recueillit les bienfaits. De par mes fonctions à la Ville de Bruxelles et à l ’Université, j ’ai été long temps le témoin de cette sollicitude inlassable qui nous valut la riche couronne d ’instituts dont la créa tion et l ’organisation attestent les géniales vertus de prévoyance et de méthode caractérisant l’esprit d’Ernest Solvay. Devant ce monument où nous contemplons, ma gnifié par l’art, le visage clair et apaisé du penseur, sans m ’attarder à énumérer les nombreuses libéralités versées avec tant de largeur d’esprit par Ernest Solvay dans le creuset de la bienfaisance sociale, je préfère insister sur le trait de sa vie qui en constitue peut-être l ’élément le plus essentiel : sa prodigieuse unité. Elle apparaît dès le début : elle se poursuit jus qu’à la fin, sans cesse accrue et fortifiée par la disci- 2 6 pline du travail, par le sens inné de l’observation, par le goût naturel de la classification. Je ne m ’arrêterai pas au récit de sa laborieuse jeu nesse, si ce n ’est pour signaler qu’elle révélait déjà chez lui deux facultés maîtresses : la Volonté, la Pré voyance. Vouloir, Prévoir : tels se manifestaient, en effet, les deux courants directeurs qui guidaient la raison pro fonde et qui réglementaient la judicieuse activité de ce « travailleur de science », ainsi qu’il se plaisait à se qualifier. Jamais, me semble-t-il, toute sa pensée n ’a été plus entièrement et plus lumineusement résumée que dans la communication qu’il fit, le 30 octobre 1 9 1 0 , en présence du Roi, à l’assemblée extraordinaire de la Société Belge des Ingénieurs et des Industriels. Envisageant le cas d ’un inventeur-réalisateur (et, par ces mots, sans doute, entendait-il se désigner lui- même), il s’exprimait ainsi : « Il va de soi que cet » inventeur industriel cherchera à voir clair dans » toutes les directions... Deux questions à longue por- » tée s’imposeront immédiatement à son esprit : quel » est l’avenir réservé aux droits d ’entrée et à la main- » d ’œuvre dans les différents pays?... N ’y a-t-il pas à » prévoir des variations subites de ces facteurs ? » Je n’avais pas alors, pour apprécier la portée de ces paroles, le privilège de l ’âge et le bénéfice de l’expé rience acquise. E t cependant, dans leur logique évi dente, elles soulevaient pour moi un coin de ce voile dont la trame menaçait déjà d’obscurcir l’horizon. Nous étions, ne l ’oublions pas, en 1 9 1 0 . Ernest Solvay, formulant tour à tour l’interrogation et la réponse, déchiffrait devant nous cette équation de 27 tant d’inconnues qui allait être celle du lendemain et qui demeure encore celle d ’aujourd’hui. « Poser de pareilles questions, poursuivait-il, c’est » poser la question sociale elle-même... Comment » évoluera le système douanier? Que deviendra l ’ou- » vrier dans les divers Etats ? Notre inventeur établira » son industrie dans chaque pays, en ne tenant compte » que des conditions actuelles relatives aux deux fac- » teurs qui le préoccupent. Mais il aura l’œil sur ces » derniers, il cherchera à escompter leurs fluctuations. » Partant de ces données, Ernest Solvay en arrivait à esquisser sa théorie du chômage, qui est d ’une telle actualité en ce moment. La formule à mettre en œuvre devait, selon lui, consister à accroître la capacité du travailleur. Il jugeait essentiel d ’améliorer sans cesse l’existence même de l ’ouvrier. E t pour cela, pour créer les ressources voulues, c’est sur la production elle-même qu’il voulait tabler. N e pensons pas un seul instant, qu’en fixant ces principes, Ernest Solvay formulât un système basé sur l’utopie. Les théories qu’il préconisait, il les avait lui- même préalablement vérifiées par l’expérience. C ’est aussi à la lumière de la leçon des faits, qu’il préconisait la suppression progressive des barrières douanières et l ’entente des nations pour établir prati quement la liberté commerciale. Si j ’évoque devant vous aujourd’hui cette disserta tion remontant à près d ’un quart de siècle, c’est non seulement que j ’y retrouve la synthèse de la pensée d ’Ernest Solvay, mais encore que j ’y discerne une sorte de testament moral qui, mieux que ne pourrait le faire aucun discours, atteste combien sa prévoyante sagesse est restée proche de nous. 28 Cet infatigable propagateur de la Science nous apparaît en même temps comme un grand citoyen. L a Belgique est-elle en péril, immédiatement il lui apporte le concours de son immense fortune. A l ’heure critique, il devine qu’il n ’y a pas un instant à perdre pour conjurer la disette et la démoralisation. Il offre au Comité National de Secours et d ’Alimentation l ’aide indispensable et, grâce à lui, quinze jours après, cette Œuvre, qui sauva tant de vies humaines, fonc tionne dans tout le pays, extension logique et puis sante du Comité de l’agglomération bruxelloise que mon mandat m ’avait fait un devoir de créer et d ’or ganiser. Ayant connu les angoisses des jours tragiques où ce geste décisif sut donner à notre hasardeuse initia tive les assises solides et toute l ’ampleur qu’exigeaient les circonstances, je puis rendre témoignage de la part prépondérante revenant à Ernest Solvay dans ce qui fut accompli pour empêcher la Belgique de périr. Pour moi, je le reverrai toujours modeste et géné reux, paré de la beauté sereine de la vieillesse, que, par un privilège exceptionnel, les atteintes de l ’âge avaient épargnée. Dans la noble simplicité de son existence, j ’aime à le comparer à ces Sages antiques, qui, inventeurs, législateurs, philosophes, mettaient leur génie au service de l’Humanité. Une grande leçon, un incomparable exemple, voilà l ’immortelle image de lui-même qu’il nous a léguée. A u nom de la Ville de Bruxelles, je m ’incline pieu sement devant le monument dédié à l ’homme d ’élite dont nous glorifions la mémoire. E t je me fais l ’inter prète du sentiment public en proclamant qu’Ernest Solvay a bien mérité de la Patrie. 29 DISCOURS PRONONCE PAR M. Paul L A N G E V I N PROFESSEUR AU COLLEGE DE FRANCE Je suis infiniment sensible à l’honneur qui me revient de prendre ici la parole, pour associer les savants étrangers au juste hommage de reconnais sance et d ’admiration que rend aujourd’hui la Bel gique à l ’un des plus illustres parmi ses enfants, au grand réalisateur, au grand idéaliste et au grand homme de bien que fut Ernest Solvay. Pour que, pieusement réunis autour du monument élevé à sa mémoire, nous puissions tous méditer sa leçon et nous fortifier de son exemple, il convient d ’évoquer son image et de rappeler les services rendus par lui à la Science et à l ’Humanité. Du côté de la Science, à laquelle il s’est, dès sa jeu nesse, consacré avec une enthousiaste dévotion, ses titres sont nombreux à notre gratitude. Tout d ’abord, par l ’éclatante réussite d ’une application que nul avant lui n ’avait su mettre en œuvre, par la création d’un 3 1 seul jet, de toutes pièces, d ’une industrie nouvelle, grâce à l ’effort puissant et continu de son intelligence et de sa volonté durant huit années décisives, il a contribué, plus que tout autre, à justifier la confiance des hommes dans l’efficacité de notre efïort de com- prendre, de dominer le monde par l ’esprit, pour augmenter, sans limite, notre puissance d’action sur lui. Puis, en possession de son avenir à trente ans, il met au service de la science pure, à la fois sa fortune et la liberté d ’esprit et d ’action qu’elle lui donne. Je rappellerai tout à l’heure ce que fut sa contribution intellectuelle où, partant d’idées singulièrement ori ginales et personnelles qu’il s’était faites à vingt ans, il traça, sans défaillance et jusqu’à la fin de sa car rière, sa propre voie qui devait le conduire à de re marquables anticipations. Enfin, le souci de soumettre sa pensée à la critique des hommes et au contrôle des faits l ’a conduit à créer des fondations, ces Instituts destinés à prolon ger son œuvre et qui restent après lui comme des témoignages vivants de son enthousiasme et de son amour pour la Science. Les Instituts internationaux de physique et de chimie, de physiologie et de socio logie, dont l ’Université de Bruxelles et la Belgique entière peuvent s’enorgueillir, affirment, eux aussi, l’unité de pensée et la continuité d ’intention si carac téristiques dans tous les aspects de l ’œuvre de Solvay. Ils correspondent aux trois ordres de préoccupations si intimement liés chez lui et dont il disait : « J ’ai » entrevu, dans les voies nouvelles de la Science, trois » directions que j ’ai suivies, trois problèmes qui, en » réalité, n ’en forment à mes yeux qu’un seul; c’est 3 2 » d ’abord un problème de physique générale : la con- » stitution de la matière dans le temps et dans l’espace » — puis un problème de physiologie : le mécanisme » de la vie depuis ses manifestations les plus humbles » jusqu’aux phénomènes de la pensée — enfin, en » troisième lieu, un problème complémentaire des » deux premiers : l ’évolution de l’individu et celle » des groupes sociaux ». Avant d ’examiner de plus près son œuvre scienti fique, je voudrais souligner l ’admirable unité de cette longue existence tout entière orientée vers un haut idéal, qui s’est développée sur le plan de l ’action avec la même rectitude, la même nécessité interne que Solvay aimait à introduire dans son travail scien tifique, si volontiers déductif et logique. De sa vie et de sa pensée se dégage la même impression de puis sance volontaire et de force tranquille que donnait aussi le regard de ses clairs yeux bleus sous le front si droit et les cheveux si drus. Pour un esprit sain et vigoureux comme le sien, ce fut sans doute une bonne fortune que de pouvoir prendre conscience de lui-même, former son carac tère et dégager sa personnalité au cours des années de jeunesse pendant lesquelles la maladie d ’abord, des circonstances difficiles ensuite, lui permirent d ’échapper à cette formation en série à laquelle abou tit trop souvent le passage par la filière scolaire et universitaire. Il eut le temps de penser et de se con naître. Par ses lectures solitaires, par ses méditations d ’adolescent au cours desquelles, comme disent ses biographes, « on acquiert surtout ce qu’on s’est donné à soi-même », il développa et confirma cet amour de la science, cette soif de vérité intellectuelle et morale, vie consacrée par-dessus tout à la recherche de la Vérité. Soustrait, comme le fut Faraday, aux exercices d’assouplissement et d’uniformisation des disciplines classiques, il sortit de ces années de gestation person nelle avec une exceptionnelle vigueur d ’esprit, une volonté fraîche et une légitime confiance dans la rectitude de son jugement. Regardant les choses et les gens en face, aussi clair de cœur que d ’esprit, d ’intention que d’action, il sut faire partager cette confiance aux siens, de manière qui leur fut précieuse à tous pendant les années déci sives de la mise au point du procédé Solvay. Cette confiance s’exprimait de façon touchante lorsque son frère Alfred disait : « Ernest ne peut pas se tromper » et que tous autour de lui acceptaient la ruine éventuelle pour lui permettre de poursuivre son rêve, dont il devait faire une si éclatante réalité. Son œuvre s’est déduite de façon nécessaire de toute son enfance et de toute sa jeunesse. Devant les échecs de tant de prédécesseurs mieux outillés que lui, scientifiquement et matériellement, il n’aurait certainement pas poussé jusqu’au succès final, contre toute espérance, l ’application technique de la réac tion qu’il crut avoir découverte, si celle-ci n’avait, en quelque sorte, fait partie de lui-même, ne lui avait appartenu par toutes les fibres de son être, n ’avait été liée en lui à tout un monde d ’émotions et de souve nirs associés à la saumure de l ’usine paternelle et à l’ammoniaque dont on cherchait l’emploi dans l ’usine à gaz de son oncle Semet — et surtout, s’il l ’avait apprise au lieu de la découvrir lui-même, dans 34 toute la fraîcheur de son intuition chimique, médita tive et solitaire. C ’est également de façon nécessaire que son écla tant et décisif succès est venu influer très profondé ment sur l’orientation de sa pensée scientifique, lui donner confiance dans l ’effort volontaire de pour suivre une idée dans l ’attitude déductive qui, à partir de notions simples et de postulats clairement expri més, cherche à obtenir une représentation du monde et à prévoir les faits que l’expérience aura pour mis sion de vérifier. Il veut, partout comme il l’avait fait pour son premier succès, réfléchir et prévoir avant d ’agir. Le succès total de sa jeunesse lui donne un besoin de plénitude et de totalité, dans la pensée comme dans l ’action, qui lui fait mépriser ses propres tenta tives non poussées jusqu’au bout, et lui permet de suivre sans faiblir, pendant plus de soixante ans, son rêve, souvent divinateur, d ’une synthèse totale et grandiose des lois de l ’Univers, en y comprenant l’interprétation des faits biologiques et sociaux sur des bases rationnelles et physico-chimiques. Voyez comment il s’exprime lui-même à propos des recherches qu’il a entreprises, puis abandonnées, dans le domaine de la science appliquée : « Votre président vous a bien cité, comme un » titre possible, que j ’avais travaillé la lampe à va- » peur de mercure avant Cooper-Hewitt; oui, mais » d ’autres l ’avaient fait avant moi, et c’est Cooper- » Hewitt qui l ’a réalisée. Titre négatif, en consé- » quence; certificat de lâcheur. » Il pourrait vous avoir dit encore que j ’ai fait 35 » breveter autrefois une table électrolytique, que » nous avons cherché ensemble à réaliser l ’arc » électrique étalé, mais il aurait eu tort, puisque, là » encore, j ’ai ou temporairement abandonné ou » lâché. Titres négatifs, toujours. » Que peut-il bien me rester que j ’aurais attaqué » sans l ’avoir aucunement délaissé... grâce à l ’entê- » tement dont je suis affligé, ou dont je suis doué, » si vous voulez, puisque c’est dans le bon sens. » Ce qu’il reste à Solvay, indépendamment de sa grande réussite initiale, dont le développement de vait tenir une si grande place dans sa vie, c’est son œuvre de science pure, poursuivie avec la ténacité dont il s’accuse et aussi les fondations, les Instituts par lesquels il a voulu se survivre. Le désir de science pure, le souci de comprendre sans autre but que la satisfaction d ’un instinct pro fond de l’esprit tendu vers la clarté, a dominé toute la vie spirituelle d ’Ernest Solvay. Il a le cœur et l ’âme du savant qu’il se défend parfois d ’être tout en disant par une belle définition : « A moins qu’on ne puisse » mériter le titre de savant parce qu’on aurait » éprouvé plus que d’autres la soif de savoir et sur- » tout le tourment de la vérité à découvrir. Ce tour- » ment pour moi a été jusqu’à la torture ». Puis : « Oui, moi qui n ’avais pas reçu d ’éduca- » tion classique, j ’ai osé avoir cette ambition de con- » courir à l ’édification du monument de la science » moderne; j ’ai eu l ’audace de faire un plan d ’étu- » des comme un architecte qui dessine le temple de » ses rêves. Par moments, je l’avoue, j ’ai senti avec » angoisse combien ma témérité était grande, com- 3 6 » bien elle m ’exposait peut-être à être sévèrement » jugé par ceux qui ne comprendraient, ni la hau- » teur de mon but, ni l’humilité de mes pensées, ni » surtout mon ardente conviction ». Il dit aussi : « Je ne saurais vivre sans m ’éclairer, » sans chercher à projeter de la lumière ». Ici encore, il exige de lui-même la réussite com plète et la totalité. Il nous disait au premier Conseil de Physique, de 1 9 1 1 , en nous demandant de réaliser une expérience destinée, selon sa propre expression, à confirmer ou à infirmer ses idées, et exprimant en une phrase toute l’unité de sa vie : « Je vous prie d’excuser ma ténacité à cet égard. » Demandez-vous, Messieurs, si elle ne prolonge » pas, ou même ne vaut pas les entêtements indus- » triels de ma jeunesse, que j ’aurais eu tort de ne » pas avoir. » Je tiens pour rien, ajoutait-il, mes succès par- » fiels s’ils ne doivent aboutir à une coordination » logique et nécessaire. » Son aspiration suprême est de réaliser un cercle parfait où toutes les connaissances se fondraient har monieusement. Il disait en 1 9 1 2 : « Voilà près de trente ans que mon activité scien- » tifique est dominée par une grande préoccupation « philosophique, celle de trouver à la science de » l’Univers une interprétation simple par voie de » déduction, à partir de postulats bien établis tels » que celui qui régit la gravitation universelle. Je » voulais une science qui s’élevât au rang d’une phi- » losophie, qui devînt même toute la philosophie. » 37 Dans ce sens, il faut comprendre la formule qu’il aimait : « La Vérité sera la Science, ou elle ne sera pas ». A la façon d ’un cœur, la recherche scientifique, lorsqu’elle est vivante, bat un rythme à deux temps; le premier va du fait à l ’idée, de l ’expérience à la théorie qu’elle suggère; le second soumet l ’idée au contrôle du fait, développe la théorie par voie déduc tive, prévoit des conséquences et les soumet à la véri fication expérimentale. Les deux attitudes sont com plémentaires, et, pour des raisons que j ’ai dites plus haut, Solvay, habitué de prévoir avant d ’agir, adop tait plus volontiers la seconde qui, dans le domaine physico-chimique, le seul où je sois capable de juger, le conduisit à de remarquables anticipations. C ’est d ’ailleurs l’attitude qui convient le mieux à une science adulte, celle qu’ont prise la plupart des théoriciens, des grands constructeurs dans le do maine des idées. Solvay disait encore en 1 9 1 1 : « La méthode que » j ’ai suivie a été déductive. Certes mon travail fon- » damental n ’est pas fini, il n ’est ni parfait, ni corn- » plet. J ’émets, depuis plus de quarante ans, l ’opi- » nion que, pour la reconstitution mentale de » l ’Univers actif à laquelle nous travaillons tous » avec conviction, le dernier mot de suprême éclai- » rement devra être dit par le philosophe plutôt que » par l ’expérimentateur. Dans cette voie, ce ne sera » plus, en général, l ’expérience qui devra, par la » suite, continuer à provoquer le calcul, c’est le cal- » cul qui devra surtout, dorénavant, provoquer l’ex- » périence. » C ’est ainsi, vous le savez, que les choses se sont 38 passées au cours du développement de la théorie de la relativité, qui s’est traduit par deux résultats essen tiels vérifiés par les faits. D ’une part, c’est l ’inexac titude de la mécanique ancienne et son remplace ment par une dynamique nouvelle où la doctrine de la conservation de la masse est remplacée par celle de l ’inertie de l ’énergie. L a masse d ’un corps change lorsque, sans perte ni gain de matière, on fait varier l ’énergie qu’il renferme, par perte ou gain de cha leur par exemple. D ’autre part, du côté de la relati vité généralisée, s’est réalisée la synthèse de l’inertie et de la gravitation et se confirme l’idée essentielle que l’une et l’autre sont dues à une influence réciproque des corps par l ’intermédiaire d ’une incurvation de l ’espace-temps. Il est très remarquable qu’Ernest Solvay, en sui vant la voie très personnelle qu’il s’était ouverte à vingt ans, pour satisfaire son désir de synthèse et son besoin de clarté, ait obtenu longtemps avant la théo rie de la relativité, deux résultats essentiels de celle- ci, dont l ’inertie et l ’énergie, mais seulement de ma nière qualitative et sans pouvoir aller, comme Einstein, jusqu’à la confirmation expérimentale. Cette double prescience témoigne, chez Solvay, de qualités scientifiques de tout premier ordre qu’il aurait suffi d ’une préparation mathématique plus complète pour lui permettre de les faire complètement valoir. Revanche de l ’Université et de la formation classique. Ayant clairement prévu la variation de masse ou de poids d ’un corps avec son énergie interne, Solvay entreprit, entre 1 8 7 7 et 1 881 , une longue série d ’expériences pour mettre en évidence le fait : dimi- 39 nution de poids à la suite d’une réaction chimique dégageant de la chaleur, augmentation de poids d ’un morceau de métal par déformation ou d ’un gyros cope par mise en rotation. L ’échec répété de toutes ces tentatives le conduisit à la conclusion, entièrement confirmée par la relati vité, qui donna la solution quantitative en suivant la voie théorique préconisée par Solvay : « Cet insuccès ne put me décourager, dit-il en » 1 8 9 6 ; en y réfléchissant, les expériences prou- » vaient que l ’équivalent matériel de la chaleur » n ’était pas décelable dans les conditions où l’on » avait opéré. Rien de plus. D ’autre part, des consi- » dérations de diverses natures m ’amenèrent à pen- » ser que cet équivalent devait être tellement mi- » nime que le raisonnement seul, aidé du calcul, » pouvait permettre de le déterminer. » Il fut seul de son avis pendant plus de quarante ans, contre les chimistes et les physiciens les plus éminents. Son illustre compatriote Stas ne voulut rien entendre, et Hirn, un des fondateurs de la ther modynamique, donna en 1 887, à Colmar, une con sultation à Solvay, que celui-ci rapporte dans les ter mes suivants : « Pendant trois heures (de neuf à m idi), Hirn » chercha à me démontrer, avec une insistance » fébrile, avec une conviction violente, que les bases » de la mécanique rationnelle étaient des faits, et » qu’il était absolument inutile de chercher un seul » instant à aller à leur encontre d ’une manière quel- » conque. Il parlait en chef d’école, il était absolu, » me mettant constamment, par son argumentation » continue, dans l ’impossibilité de lui répondre, ne 40 » me donnant pas la parole pour défendre mon sys- » tème. Evidemment, il considérait cela comme » inutile : ne devais-je pas reconnaître mon erreur » puisqu’il me la démontrait. Après cela nous déjeu- » nâmes le plus cordialement du monde. » Nous avons retrouvé pareille intransigeance chez les partisans de la mécanique ancienne au cours des discussions sur la relativité. Les passages suivants d ’un travail sur la « Gravi- tique », publié en 1 894, montrent avec une clarté parfaite, l ’anticipation de Solvay sur Mach et E in stein en ce qui concerne la relativité généralisée : « Nous avions été frappés par ce fait que le mou- » vement n ’est pas autre chose qu’un déplacement » de matière dans l’espace, un changement du lieu » occupé par cette matière et que, par conséquent, » l ’espace, en dynamique, devant être considéré » comme infini en étendue, s’il n ’y existait qu’un » seul atome matériel, on ne saurait en définir la » position, c’est-à-dire lui assigner un « endroit » » quelconque de cet espace. En d ’autres termes, il » n ’y a pas de lieux dans l ’immensité sans limites » par rapport à cette immensité elle-même et il nous » était dès lors impossible de comprendre que le dé- » placement seul de la matière pût y coûter quoi que » ce fût. » Mais il y a des lieux dans l ’immensité par rap- » port aux corps qui s’y trouvent plongés et, sachant » cela, comme il est reconnu qu’un changement de » lieu, c’est-à-dire un déplacement de matière en- » traîne réellement une dépense d ’énergie, nous » avions pu nous persuader déjà que c’était à cause 4 1 » de l ’existence de ces corps et non par le seul fait » de la communication du mouvement. » Sachant, en outre, que la matière se comporte » comme si elle attirait la matière, nous avons été » portés encore à regarder cette dernière interpréta- » tion comme exacte, et à rechercher dans la gravita- » tion de la matière ce que l’on a cru trouver dans » son inertie. » L a première réunion du Conseil de Physique, en 1 9 i i , était destinée, dans l ’intention primitive de Solvay, à soumettre ses vues à une discussion et à chercher avec nous la possibilité de confirmations expérimentales. Malheureusement, leur caractère trop qualitatif ne permettait pas encore un exarnen précis. Avec sa simplicité d ’attitude et sa hauteur de vues coutumières, Solvay le reconnut et nous pria de con sacrer la semaine de notre réunion à l ’examen des difficultés qui nous paraissaient les plus importantes en physique, à ce début de la crise des quanta dont la gravité fut, à cette occasion, reconnue pour la pre mière fois de manière générale. En se séparant de nous, le dernier jour, Solvay, non seulement nous remercia de nos efforts, mais fit promettre à notre grand Lorentz d ’organiser une nouvelle réunion deux ans plus tard, et fit davantage encore en réalisant, dans l’intervalle, la fondation de l ’Institut International de Physique, qui tiendra l ’année prochaine son septième Conseil et dont l ’exis tence est assurée pour une longue période, grâce à la piété filiale et à l ’intérêt vivant pour la science des enfants d ’Ernest Solvay. L ’Institut de Chimie Solvay fut fondé peu de temps après sur les mêmes bases, sous la présidence de Sir William Ramsay, remplacé depuis par Sir William Pope. De même que la pensée d ’Ernest Solvay fut pro fondément influencée, du côté physico-chimique, par le développement de l’énergétique, commencé dans sa jeunesse, et auquel il consacra lui-même un nombre important de travaux, la théorie de l’évolution devait, un peu plus tard, le confirmer dans son espoir en une synthèse à base physico-chimique et s’étendant à tout l’ensemble des sciences de la nature et des sciences de l’homme. « J ’admets, disait-il, une filiation complète et con- » tinue entre les réactions chimiques simples, les » réactions chimiques organisées ou cellules vivantes, » les associations de cellules ou êtres vivants, les » associations d ’êtres vivants ou sociétés animales, » enfin les sociétés humaines. » D ’accord avec son ami Paul Héger, dont il m ’est très doux d ’évoquer ici, à côté du sien, le souvenir, il avait fondé, dès 1 888, l ’Institut de Physiologie, dans le but de travailler au développement de la synthèse qu’il rêvait, puis, avec W axweiler et dans un but ana logue, l ’ Institut de Sociologie. L a compétence me manque pour apprécier les résultats obtenus par Solvay lui-même et par ses Insti tuts dans ces -deux directions. Je voudrais seulement ne pas terminer sans souligner que le grand cœur de Solvay avait senti et admirablement exprimé par anti cipation, du côté humain, l ’équivalent de ce que son puissant esprit avait pressenti du côté de la science pure. D ’une part, il attribuait à l’ignorance l ’origine de la plupart des conflits sociaux, sinon des conflits inter- 43 ■■ — ■ nationaux et préconisait la diffusion immédiate de l ’instruction populaire, l ’organisation d ’un enseigne ment basé sur l ’intérêt de tous — l’avènement de la justice par la science. D ’autre part, il a eu cette formule que je trouve admirable : « La Société est condamnée à la Justice, sous peine de mort ». Elle représente, étant donné l’époque où elle fut exprimée, une impressionnante anticipation de la situation dans laquelle se trouve actuellement notre humanité : menace de mort par la guerre si nous ne créons pas la justice internationale — menace pres que aussi grave, et d ’ailleurs connexe, par l’abus de la machine, si nous reculons devant la justice sociale. C ’est le développement inouï des applications de la science qui rend si graves l’un et l ’autre dangers. Si, comme nous voulons tous l’espérer, nous savons four nir à temps l’effort nécessaire pour y échapper, cette science, que Solvay aimait tant, aura, par un singulier détour, contraint les hommes à créer la justice. Que n’est-il avec nous pour y travailler de sa force tran quille. Puisons, dans son exemple, la confiance et la ténacité nécessaires à l’action. 44 Les aperçus nouveaux que suggère ce dernier dis cours sur l ’esprit d ’anticipation d ’Ernest Solvay, font grande impression sur l ’assistance. C ’est alors que le Roi, accompagné du Duc de Brabant, se rend au pied du Monument et y dépose une gerbe de fleurs. Puis, à tour de rôle, M. le Ministre des Affaires Etrangères, M. le Bourgmestre Max, M. Francqui, Ministre d ’Etat et Président du Comité National; après eux encore, les délégués de divers organismes fleurissent abondamment la terrasse à trois degrés qui entoure le Monument. Une sonnerie de clairons annonce la fin de la céré monie. Tandis que se retirent le Roi et le Duc de Brabant, la foule des invités et des assistants défile lentement devant la statue d ’Ernest Solvay. 45 Le monument porte les inscriptions suivantes Sur la face : E R N E S T S O L V A Y 1838 - 1922 F O N D A T E U R D U C O M IT É N A T IO N A L 1 9 1 4 - 1 9 1 8 Sur le côté droit : CRÉATEUR DE L’INDUSTRIE DE LA SOUDE A L ’AMMONIAQUE FONDATEUR DES INSTITUTS INTERNATIONAUX DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Sur le côté gauche : FONDATEUR DES INSTITUTS DE PHYSIOLOGIE ET DE SOCIOLOGIE ET DE L ’ÉCOLE DE COMMERCE DE L ’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Achevé d’imprimer le 28 février 1933 sur les presses de J.-E. Goosssens, à Bruxelles. Les clichés de photographie et d’héliogravure ont été exécutés par les Etablissements Jean Malvaux, à Bruxelles.
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Titre
Hommage national à Ernest Solvay. Inauguration du monument 16 octobre 1932
Créateur
Pas de mention d'auteur
Contributeur
Huymans, Paul
Langevin, Paul (1872-1946) (1872-1946)
Langevin, Paul (1872-1946) (1872-1946)
Date
1933
Type
Document dactylographié
Format
Fascicule broché imprimé, 16,8 x 25,7 cm
Langue
fre
Description
Fascicule broché, 47 pages numérotées, couverture papier cartonné gris virant au marron.
Sujet
Physique
Commémorations
Hommage
Institut Solvay
Commémorations
Hommage
Institut Solvay
Couverture temporelle
1901-2000
Est une partie de
Fonds Paul Langevin
Source
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Bibliothèque
L9/03
L9/03
Droits
Domaine public
Détenteurs des droits / Numérisation
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris
Université PSL
Université PSL
Identifiant
ark:/18469/26fj
Coverage
20e siècle, Europe
content
\r ^ T)o > sì e_r L___________ j HOM M AGE N A TIO N A L A ERNEST SOLVAY IN A U G U R A T IO N D U M O N U M E N T 16 O C T O B R E i 9 3 2 B R U X E L L E S ig33 ESPÉ?" L ^ | o 3 H O M M A G E N A T I O N A L A E R N E S T S O L V A Y HOM M AGE N A TIO N A L A E R NE ST SOLVAY I N A U G U R A T I O N D U M O N U M E N T 16 O C T O B R E ig 3 2 B R U X E L L E S 1933 ESr ^ 1 L 3 !o3 Un groupe de Membres du Comité National de Secours et d ’Alimentation ( 1 9 1 4 - 1 9 1 8 ) ainsi que du Corps professoral de l ’Université libre de Bruxelles se réunit le 7 décembre 1 9 2 5 et obtint l ’adhésion des personnalités qui formèrent le C o m ité d ’ h o n n eu r et le C o m ité e x e c u t if de la MANIFESTATION NATIONALE DE RECONNAISSANCE A E R N E ST SO LV A Y SOUS LE HAUT PATRONAGE DE SA MAJESTÉ LE ROI ET LE PATRONAGE DU GOUVERNEMENT composé de MM. H. J a spa r , Premier Ministre, Ministre de l’Intérieur et de l’Hygiène; E. V a n d e r v e l d e , Ministre des Affaires Etrangères; P. H ym a n s , Ministre de la Justice; C. H u ysm an s , Ministre des Sciences et des Arts; le Baron M. H o u ta rt , Ministre des Finances et Ministre des Colonies; H . B a e l s , Ministre de l’Agriculture et Ministre des Travaux Publics; J. W a u t e r s , Ministre de l’Industrie, du Travail et de la Prévoyance Sociale; E . A n s e e l e , Ministre des Chemins de Fer, Marine, Postes, Télégraphes, Téléphones et Aéronau tique; le Comte Ch. de B r o q u ev ille , Ministre de la Défense Nationale; E . F r a n c q u i , Ministre, Membre du Conseil. 9 COMITÉ D’HONNEUR : Présidents : *¡* Son Eminence le Cardinal M e r c ie r , Arche vêque de Malines; Comte A. t’KiNT de R o o d en bek e , Pré sident du Sénat; M. E. B r u n e t , Président de la Chambre des Représentants, Ministre d’Etat. Membres : S. E. M. le Marquis de V illa lo b a r et de G u im a r ey , Ambassadeur extraordinaire et Plénipotentiaire de S. M. le Roi d’Espagne, Ministre protecteur du Comité National de Secours et d’Alimentation ; M. B r a n d W h it l o c k , ancien Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, Ministre protecteur du Comité National de Secours et d’Alimentation. Les Ministres d’Etat : MM. G. C o o rem an ; le Baron E. B e y e n s ; le Comte C arton de W ia r t ; A . V a n d e V y v e r e ; M . L e v i e ; A. M a x , Bourgmestre de la Ville de Bruxelles; le Vicomte P. B e r r y e r ; L . B e r t r a n d ; J. R e n k in ; L . D e l a c r o ix ; C . M a g n e t t e ; A . B r a u n ; G . T h e u n is ; F. M asso n ; le Vicomte P o u l l e t . Les Gouverneurs des Provinces : MM. le Baron G. H o lvo et , d’Anvers; le Baron de B eco , du Brabant; le Baron L. E. J an ssen s de B ist h o v en , de la Flandre occiden tale; le Comte A . de K erch o v e de D e n t e r g h e m , de la Flandre orientale; M. D a m o is e a u x , du Hainaut; G . G r é g o ir e , de Liège; le Comte Ch. de R e n e ss e , du Lim- bourg; le Comte C. de B r ie y , du Luxembourg; le Baron P. de G a if f ie r d ’HESTROY, de Namur. io Les Représentants des Universités Belges : MM. A. B r a c h e t , Recteur de l’Université de Bruxelles; G. V an d en B o ssch e , Recteur de l’Université de Gand; E. P rost , Recteur de l’Université de Liège; Monseigneur P. L a d e u z e , Recteur de l’Université de Louvain. Pour le Comité National de Secours et d ’Alimentation : MM. L. V a n d er R e s t , Vice-Président du Comité National; J. J adot , Vice-Président du Comité National; L. F r a n c k , Président du Comité de la Province d’Anvers; le Comte J. de M éro d e , Président du Comité de la Province de Bra bant; M. H a l l e t , Président du Comité de l ’Agglomération bruxelloise; le Baron A . R u z e t t e , Président du Comité de la Flandre occidentale; le Comte J. de H e m p t in n e , Président du Comité de la Flandre orientale; A . H a r m ig n ie , Président du Comité de la Province de Hainaut; J. V an H o eg a e r d e n , Secrétaire général du Comité de la Province de Liège; F. P o rtm ans , Président du Comité de la Province de Lim- bourg; le Baron A. G o f f in e t , Président du Comité de la Province de Luxembourg; le baron A . d ’HuART, Président du Comité de la Province de N am ur; le Chevalier E. de W outers c I’O p l in t e r , Vice-Président du Comité Exécutif du Comité National; F. V an B r é e , Vice-Président du Comité Exécutif du Comité National. Les Représentants des Universités étrangères et Sociétés savantes : Madame C u r ie ; MM. G. W e r n e r , Recteur de l’Université de Genève; Ch. A d am , Recteur de l’Université de Nancy, Membre de l’Institut de France; le Professeur J. P. L a l l e m a n d , Président de l’Académie des Sciences de Paris; le Professeur Ch. R ic h e t , Membre de l’Institut de France; le Professeur H. A . L o r e n t z , de Leyde, Président de l’Institut International de Physique Solvay; le Proies- seur W. P ope , de Cambridge, Président de l’Institut Inter national de Chimie Solvay; le Professeur R. A . M i l l ik a n , de Chicago; le Professeur F. S w a r ts , Directeur de la Classe des Sciences de l’Académie Royale de Belgique. CO M ITÉ E X É C U T IF : Président: M. E. F ran cq u i , Ministre, Membre du Conseil, Président du Comité National de Secours et d’Alimentation. Vice-Présidents : MM. M. V a u t h ie r , Président du Conseil d ’Administration de l’Université de Bruxelles; A. N e r in c x , Professeur à l’Université de Louvain. Membres : MM. J. B o rd et , Professeur à l’Université de Bruxelles; M. B ourq uin , Professeur à l’Université de Bruxelles; P. B r u y l a n t s , Professeur à l’Université de Lou vain; F. C a t t ie r , Trésorier de la Fondation Universi taire; E. C olson , Professeur à l’Université de Liège; O. D ony -H e n a u l t , Professeur à l’Université de Bruxelles; L. A . G e sc h è , Professeur à l’Université de Gand; M. H a l l e t , Député, Président du Comité National de Secours et d’Alimentation de l’Agglomération bruxelloise; Ch. L e f e b u r e , Ingénieur; E. M ah a im , Directeur de l’Insti tut Solvay de Sociologie; P. M iso n n e , Président du Conseil de Surveillance de la Société Solvay & C ie; W . M u n d , Professeur à l’Université de Louvain; P. P a st u r , Membre de la Députation permanente du Hainaut; A. S lo sse , Directeur de l’Institut Solvay de Physiologie. Secrétaire général : M. J. W il l e m s , Secrétaire de l’Uni versité de Bruxelles; puis, M. le Professeur F. L e b l a n c , de l’Université de Bruxelles. 12 C ’est le dimanche 1 6 octobre 1 93 2 , à l’avenue des Nations, qu’eut lieu, en présence de S. M. le Roi et de S. A . R. le Duc de Brabant, l’Inauguration du Monument dédié à la mémoire d ’Ernest Solvay et élevé par souscription nationale. Une assistance nombreuse avait tenu à honorer de sa présence cette heure entre toutes émouvantes : les Membres du Gouvernement, de la Chambre des Représentants, du Sénat, de la Magistrature, les Repré sentants du Corps Diplomatique, les Ministres d ’Etat, les Gouverneurs des Provinces, les Représentants des Universités belges, étrangères et des Sociétés savantes, les Membres du Comité National de Secours et d ’A li mentation et d ’autres Personnalités encore et les membres de la famille Solvay. Il n ’est pas besoin d ’insister sur le haut prestige de la cérémonie que sa simplicité même rendait plus riche encore de signification, et que trois discours de tons différents illustrèrent d’une manière également saisissante. Les présentations terminées, M. Paul Hymans, Ministre des Affaires Etrangères, monte à la tribune, placée face au Roi, et prend la parole au nom du Gouvernement. *3 DISCOURS PRONONCE PAR M. le Ministre Paul H YM A N S Nous sommes réunis aujourd’hui pour glorifier la mémoire d ’un homme qui exerça sur le mouvement économique et intellectuel de son temps, une féconde et salutaire influence. Ernest Solvay appartient à la génération qui suivit de près la proclamation de l ’indépendance nationale et d ’où surgit une élite qui construisit et anima la Belgique contemporaine. Il a laissé après lui des œuvres durables auxquelles son nom demeure attaché. E t l’histoire de ses travaux offre l ’exemple resplendissant d ’un effort passionné, d ’une volonté tendue sans relâche vers le perfection nement de la production et de la science, de l ’individu et de la société. Solvay fut un créateur d ’industrie et de richesse, un penseur inspiré de la perpétuelle impatience de connaître et de découvrir, un bienfaiteur qui suscite, encourage et soutient les initiatives. E t son existence a ce trait magnifique qu’il n ’a jamais cherché la fortune, ou le pouvoir, ou la renom mée, et qu’il les a trouvés dans l ’accomplissement *5 d ’un devoir de conscience, dans l ’irrésistible expan sion d ’une force intérieure qui le poussa depuis l ’ado lescence à réfléchir, à approfondir les mystères de la matière et de l’énergie, à tenter d ’en saisir et définir les lois, à rendre les conditions de la vie plus douces, plus logiques et fructueuses. C ’est un réalisateur et un théoricien. Il a le sens pra tique du chef d ’industrie et l ’élan presque mystique du rêveur qui poursuit le fantôme de la vérité totale. Ce n ’est pas un savant, mais la science allume en son âme un foyer qui ne s’éteindra pas. Il débute sans diplôme, dans une usine à gaz, où des expériences, inspirées par l’instinct et la pratique, l ’amènent à la découverte d ’un procédé qui révolu tionnera l ’industrie : la fabrication de la soude par l’ammoniaque. Il le fait breveter, trouve des appuis, notamment celui d ’un homme d ’Etat, Eudore Pir- mez, qui aimait la chimie et joignait les affaires à la politique, et il fonde à Couillet, en 1 86 3 , son premier établissement, avec le concours de son frère Alfred, qui fut le collaborateur fidèle et éclairé de toutes ses entreprises. Les commencements furent difficiles, mais on gra vit la pente. En 1869, les bâtiments furent dédoublés et la production triplée. C ’est la victoire. Elle éclate au dehors. Des associés s’offrent de toutes parts, des usines se fondent. La production de la soude, dont les applications sont innombrables, se multiplie, et le prix se réduit au point de ne présenter bientôt qu’un tiers, aujourd’hui à peine un quart du prix d’autrefois. L ’industrie nouvelle procure à l ’humanité une économie annuelle de centaines de millions. Elle étend ses rameaux dans les principaux pays d ’Europe et aux 16 Etats-Unis. E t de cet énorme monopole jaillit une fortune prodigieuse qui sera consacrée à la science et aux œuvres sociales. Les travaux de Solvay dans le domaine de la phy siologie et de la chimie, de la sociologie et de l’éco nomie politique, révèlent l ’autre aspect de l’homme qu’une impérieuse vocation spirituelle attire dans les avenues profondes de l ’investigation et de la spécula tion scientifique. « Homme de science, a-t-il dit de lui-même, je n ’ai » pas le bonheur de l ’être; je n ’ai pas reçu l ’éducation » classique, mais je n ’ai pas cessé de poursuivre un » but scientifique, parce que j ’aime la science et que » j ’attends d ’elle le progrès de l ’humanité. » Il ne se spécialise pas. Il veut aller au fond et au bout. C ’est la vie même, l ’électricité où il discerne une de ses forces, l ’univers, le tout, qu’il entend péné trer, comprendre, expliquer. Il a des intuitions qui devancent l ’expérience; l’imagination stimule le raisonnement. « Il faut, dit- » il, pousser le plus loin possible le rendement théo- » rique. C ’est en poussant les choses à l’idéal, à » l’absolu, que la lumière se dégage. » Il bâtit des systèmes auxquels il donne des déno minations neuves et expressives : le productivisme, l’énergétique, le comptabilisme, le chômage-capaci- tariat. L ’idée est souvent audacieuse, toujours orientée vers l ’amélioration des conditions de l ’existence indi viduelle et sociale. Mais la théorie se double de l ’action. E t le penseur bientôt forgera les outils nécessaires à la vérification de ses hypothèses et au développement des études dont il a tracé les directions. U Un jour, Solvay rencontre le docteur Héger. Il se lie bientôt avec lui. Héger aussi est un animateur que brûle le feu de la recherche et de l’innovation. Une attraction réciproque unit les deux volontés et leur rapprochement aboutit à l ’élaboration d’un vaste plan constructif. L ’Université Libre de Bruxelles, dont les tendances correspondent aux convictions de Solvay, a besoin de laboratoires et d ’instituts. Guidé par Héger, Solvay dote l ’Université de l ’Institut de Physiologie. Plus tard il lui donnera l ’Ecole Supérieure de Commerce, puis l ’Institut de Sociologie. Et pour diriger celui-ci, il trouve un homme jeune et rempli de promesses, Waxweiler, qui fera de l’Institut un centre de vi brante activité, où se formera une école d’économistes et de sociologues préparés par des méthodes nouvelles à l’étude des phénomènes et des problèmes de l’état social dans la Belgique du vingtième siècle. L ’Université, à l ’administration de laquelle j ’ai l ’honneur d ’appartenir, m ’a prié d ’ajouter ici l’ex pression de sa reconnaissance à l ’hommage solennel que nous rendons aujourd’hui à celui qui fut l’un des siens, et des plus grands. Solvay parachève son œuvre en fondant à Bruxelles deux Conseils suprêmes de savants, recrutés dans une glorieuse élite, les Instituts Internationaux de Chimie et de Physique. Il y assemble des maîtres illustres, adonnés à la science pure qui, indifférente aux appli cations pratiques, poursuit avec sérénité, à travers les brumes de l’inconnu, la vérité pour la vérité et entre prend de déchiffrer les énigmes de la substance et de la vie universelle. Mais les problèmes immédiats et positifs de la vie 18 quotidienne et nationale ne lui demeurent pas indif férents. E t sans devenir jamais un homme de parti, il devient pour quelque temps un homme politique. A deux reprises il se laisse porter au Parlement. C ’est au libéralisme qu’il appartient par les racines de sa pensée. Il siège quelques années au Sénat et, sur le sys tème électoral, l ’instruction publique, le régime du travail et ses relations avec le patronat, il parle avec l’autorité d ’une conscience libre, mûrie par l’expé rience et la méditation. Il préconise la multiplication de la production, le bon marché, l ’exacte adaptation des facultés techni ques, la prédominance de l’intelligence dans la direc tion, la réalisation de l’égalité au point de départ par l’augmentation progressive de l’impôt successoral, et il suggère une sorte de socialisation du capital par la participation de l ’Etat dans la formation des sociétés productrices. Tout doit tendre à la production et à la consomma tion. L ’homme doit être mis à même de fournir son rendement maximum. Dans cette formule, Solvay enveloppe sa conception du progrès et du bien-être. Il expose ses théories avec une complète indépen dance, demeurant fidèle au parti qu’il a choisi et n ’hésitant pas, d ’autre part, à soutenir par de larges dotations une entreprise socialiste, la Centrale d’Edu- cation ouvrière, destinée à fournir des chefs et des administrateurs compétents aux organisations de la classe populaire. Le drame de l’invasion remplit ses dernières années d ’une émotion sacrée qui lui dicte un geste de patrio tique solidarité. Il constitue, en août 1 9 1 4 , le Comité National de Secours et d ’Alimentation qui, sous la direction éner gique et vigilante de M. Francqui, assura la subsis tance et la résistance du peuple belge pendant les épreuves redoutables de l’occupation étrangère. Telle fut cette pleine et robuste existence, où la fortune, les honneurs, une popularité spontanée récompensèrent les vertus de l’action et les beautés de l’inspiration. Solvay s’expliquant un jour devant ses amis et ses collaborateurs dit simplement ces mots qui éclairent tout l ’intérieur de l ’être moral : « J ’ai vécu dans le souci » intime du savoir, dans le désir incessant de connaître » ce qui est, ce que nous sommes, ce qu’est l’univers, » ce qu’il est dans son fonctionnement éternel ». Cette confession d ’un matérialiste a comme un accent religieux. Ce déterministe convaincu s’était construit une superbe idéologie où rayonne l’amour de la vérité, de la justice et du bien. L ’œuvre positive de Solvay survit. Ce fut un fon dateur. L ’homme n’est pas oublié. Beaucoup de ceux qui sont ici l’ont connu et aimé. Il était sans faste et sans vanité, d’un abord naturel et cordial. Il ne prisait ni le luxe, ni les cérémonies. Il trouvait sa meilleure dis traction dans l’ascension des cîmes alpestres. Il respi rait à l ’aise dans les altitudes. Sa vie est une leçon d ’énergie. Elle mérite, par sa noblesse morale, le respect des jeunes générations autant que la reconnaissance des anciens. Que la Ville de Bruxelles conserve pieusement ce monument qui en perpétuera le souvenir. Nous lui en remettons la garde. Sur ces derniers mots de M. Paul Hymans, on enlève le voile qui recouvrait le Monument, et l ’œuvre du sculpteur Egide Rombaux et de l ’archi tecte Blomme apparaît aux yeux de l ’assistance. ErnestiSolvay se présente dans l’attitude du penseur. Il est assis, et sa main supporte un front tout entier tourné vers sa tâche immense. Une visible émotion étreint l ’assemblée. M. Adolphe Max adresse alors, au nom de la Ville de Bruxelles, son hommage à Ernest Solvay. M. Paul Langevin, professeur au Collège de France, président de l ’Institut International de Phy sique Solvay, prendra ensuite la parole au nom des Savants étrangers et des Sociétés savantes. 23 DISCOURS PRONONCÉ PAR M. le Bourgmestre Adolphe M AX C ’est avec émotion que je prends ici la parole pour accepter, au nom de la Ville de Bruxelles, la garde de ce monument aux lignes sobrement conçues par l ’ex cellent architecte Blomme et dans lequel revivent, sous le ciseau prestigieux d ’Egide Rombaux, les traits de l ’un de nos compatriotes les plus éminents, les plus respectés, les plus aimés. Ma pensée se reporte à dix ans en arrière, quand, le 26 mai 1 9 2 2 , nous apprîmes que, sans souffrance et sans secousse, venait de se terminer une généreuse existence, une noble vie, tout entière consacrée à la Science, au Progrès et au Bien. Ce jour-là, on sentait qu’un deuil vraiment national inspirait le concert de louanges saluant d ’un légitime tribut de gratitude l ’inoubliable mémoire de ce grand Belge qui, sereine ment, modestement, comme il avait vécu, venait d ’entrer dans l ’immortalité. Sans distinction de parti, toutes les opinions s’empressaient de lui rendre hommage. Les uns lui 25 vouaient un culte presque filial en songeant que cette belle figure constituerait à tout jamais un des plus hauts symboles du libéralisme. D ’autres se plaisaient plus particulièrement à mettre en évidence son altruisme et les efforts constants qu’il avait pro digués pour l’amélioration des conditions sociales. D ’autres enfin disaient sa simplicité, son équité. Partout, et dans les sphères les plus élevées comme dans les classes les plus pauvres, l’évocation de ce Sage, de ce Juste, était environnée d ’un rayonnement de bonté, ainsi qu’il l ’avait souhaité quand, expli quant à sa manière cette magnifique mission d ’éman cipateur et de précurseur qu’il avait assumée, il déclarait : « Je ne saurais vivre sans m ’éclairer, sans chercher à projeter de la lumière ». Paroles saisissantes, qui honorent l’homme qui les a prononcées non moins qu’elles ennoblissent le pays qui en recueillit les bienfaits. De par mes fonctions à la Ville de Bruxelles et à l ’Université, j ’ai été long temps le témoin de cette sollicitude inlassable qui nous valut la riche couronne d ’instituts dont la créa tion et l ’organisation attestent les géniales vertus de prévoyance et de méthode caractérisant l’esprit d’Ernest Solvay. Devant ce monument où nous contemplons, ma gnifié par l’art, le visage clair et apaisé du penseur, sans m ’attarder à énumérer les nombreuses libéralités versées avec tant de largeur d’esprit par Ernest Solvay dans le creuset de la bienfaisance sociale, je préfère insister sur le trait de sa vie qui en constitue peut-être l ’élément le plus essentiel : sa prodigieuse unité. Elle apparaît dès le début : elle se poursuit jus qu’à la fin, sans cesse accrue et fortifiée par la disci- 2 6 pline du travail, par le sens inné de l’observation, par le goût naturel de la classification. Je ne m ’arrêterai pas au récit de sa laborieuse jeu nesse, si ce n ’est pour signaler qu’elle révélait déjà chez lui deux facultés maîtresses : la Volonté, la Pré voyance. Vouloir, Prévoir : tels se manifestaient, en effet, les deux courants directeurs qui guidaient la raison pro fonde et qui réglementaient la judicieuse activité de ce « travailleur de science », ainsi qu’il se plaisait à se qualifier. Jamais, me semble-t-il, toute sa pensée n ’a été plus entièrement et plus lumineusement résumée que dans la communication qu’il fit, le 30 octobre 1 9 1 0 , en présence du Roi, à l’assemblée extraordinaire de la Société Belge des Ingénieurs et des Industriels. Envisageant le cas d ’un inventeur-réalisateur (et, par ces mots, sans doute, entendait-il se désigner lui- même), il s’exprimait ainsi : « Il va de soi que cet » inventeur industriel cherchera à voir clair dans » toutes les directions... Deux questions à longue por- » tée s’imposeront immédiatement à son esprit : quel » est l’avenir réservé aux droits d ’entrée et à la main- » d ’œuvre dans les différents pays?... N ’y a-t-il pas à » prévoir des variations subites de ces facteurs ? » Je n’avais pas alors, pour apprécier la portée de ces paroles, le privilège de l ’âge et le bénéfice de l’expé rience acquise. E t cependant, dans leur logique évi dente, elles soulevaient pour moi un coin de ce voile dont la trame menaçait déjà d’obscurcir l’horizon. Nous étions, ne l ’oublions pas, en 1 9 1 0 . Ernest Solvay, formulant tour à tour l’interrogation et la réponse, déchiffrait devant nous cette équation de 27 tant d’inconnues qui allait être celle du lendemain et qui demeure encore celle d ’aujourd’hui. « Poser de pareilles questions, poursuivait-il, c’est » poser la question sociale elle-même... Comment » évoluera le système douanier? Que deviendra l ’ou- » vrier dans les divers Etats ? Notre inventeur établira » son industrie dans chaque pays, en ne tenant compte » que des conditions actuelles relatives aux deux fac- » teurs qui le préoccupent. Mais il aura l’œil sur ces » derniers, il cherchera à escompter leurs fluctuations. » Partant de ces données, Ernest Solvay en arrivait à esquisser sa théorie du chômage, qui est d ’une telle actualité en ce moment. La formule à mettre en œuvre devait, selon lui, consister à accroître la capacité du travailleur. Il jugeait essentiel d ’améliorer sans cesse l’existence même de l ’ouvrier. E t pour cela, pour créer les ressources voulues, c’est sur la production elle-même qu’il voulait tabler. N e pensons pas un seul instant, qu’en fixant ces principes, Ernest Solvay formulât un système basé sur l’utopie. Les théories qu’il préconisait, il les avait lui- même préalablement vérifiées par l’expérience. C ’est aussi à la lumière de la leçon des faits, qu’il préconisait la suppression progressive des barrières douanières et l ’entente des nations pour établir prati quement la liberté commerciale. Si j ’évoque devant vous aujourd’hui cette disserta tion remontant à près d ’un quart de siècle, c’est non seulement que j ’y retrouve la synthèse de la pensée d ’Ernest Solvay, mais encore que j ’y discerne une sorte de testament moral qui, mieux que ne pourrait le faire aucun discours, atteste combien sa prévoyante sagesse est restée proche de nous. 28 Cet infatigable propagateur de la Science nous apparaît en même temps comme un grand citoyen. L a Belgique est-elle en péril, immédiatement il lui apporte le concours de son immense fortune. A l ’heure critique, il devine qu’il n ’y a pas un instant à perdre pour conjurer la disette et la démoralisation. Il offre au Comité National de Secours et d ’Alimentation l ’aide indispensable et, grâce à lui, quinze jours après, cette Œuvre, qui sauva tant de vies humaines, fonc tionne dans tout le pays, extension logique et puis sante du Comité de l’agglomération bruxelloise que mon mandat m ’avait fait un devoir de créer et d ’or ganiser. Ayant connu les angoisses des jours tragiques où ce geste décisif sut donner à notre hasardeuse initia tive les assises solides et toute l ’ampleur qu’exigeaient les circonstances, je puis rendre témoignage de la part prépondérante revenant à Ernest Solvay dans ce qui fut accompli pour empêcher la Belgique de périr. Pour moi, je le reverrai toujours modeste et géné reux, paré de la beauté sereine de la vieillesse, que, par un privilège exceptionnel, les atteintes de l ’âge avaient épargnée. Dans la noble simplicité de son existence, j ’aime à le comparer à ces Sages antiques, qui, inventeurs, législateurs, philosophes, mettaient leur génie au service de l’Humanité. Une grande leçon, un incomparable exemple, voilà l ’immortelle image de lui-même qu’il nous a léguée. A u nom de la Ville de Bruxelles, je m ’incline pieu sement devant le monument dédié à l ’homme d ’élite dont nous glorifions la mémoire. E t je me fais l ’inter prète du sentiment public en proclamant qu’Ernest Solvay a bien mérité de la Patrie. 29 DISCOURS PRONONCE PAR M. Paul L A N G E V I N PROFESSEUR AU COLLEGE DE FRANCE Je suis infiniment sensible à l’honneur qui me revient de prendre ici la parole, pour associer les savants étrangers au juste hommage de reconnais sance et d ’admiration que rend aujourd’hui la Bel gique à l ’un des plus illustres parmi ses enfants, au grand réalisateur, au grand idéaliste et au grand homme de bien que fut Ernest Solvay. Pour que, pieusement réunis autour du monument élevé à sa mémoire, nous puissions tous méditer sa leçon et nous fortifier de son exemple, il convient d ’évoquer son image et de rappeler les services rendus par lui à la Science et à l ’Humanité. Du côté de la Science, à laquelle il s’est, dès sa jeu nesse, consacré avec une enthousiaste dévotion, ses titres sont nombreux à notre gratitude. Tout d ’abord, par l ’éclatante réussite d ’une application que nul avant lui n ’avait su mettre en œuvre, par la création d’un 3 1 seul jet, de toutes pièces, d ’une industrie nouvelle, grâce à l ’effort puissant et continu de son intelligence et de sa volonté durant huit années décisives, il a contribué, plus que tout autre, à justifier la confiance des hommes dans l’efficacité de notre efïort de com- prendre, de dominer le monde par l ’esprit, pour augmenter, sans limite, notre puissance d’action sur lui. Puis, en possession de son avenir à trente ans, il met au service de la science pure, à la fois sa fortune et la liberté d ’esprit et d ’action qu’elle lui donne. Je rappellerai tout à l’heure ce que fut sa contribution intellectuelle où, partant d’idées singulièrement ori ginales et personnelles qu’il s’était faites à vingt ans, il traça, sans défaillance et jusqu’à la fin de sa car rière, sa propre voie qui devait le conduire à de re marquables anticipations. Enfin, le souci de soumettre sa pensée à la critique des hommes et au contrôle des faits l ’a conduit à créer des fondations, ces Instituts destinés à prolon ger son œuvre et qui restent après lui comme des témoignages vivants de son enthousiasme et de son amour pour la Science. Les Instituts internationaux de physique et de chimie, de physiologie et de socio logie, dont l ’Université de Bruxelles et la Belgique entière peuvent s’enorgueillir, affirment, eux aussi, l’unité de pensée et la continuité d ’intention si carac téristiques dans tous les aspects de l ’œuvre de Solvay. Ils correspondent aux trois ordres de préoccupations si intimement liés chez lui et dont il disait : « J ’ai » entrevu, dans les voies nouvelles de la Science, trois » directions que j ’ai suivies, trois problèmes qui, en » réalité, n ’en forment à mes yeux qu’un seul; c’est 3 2 » d ’abord un problème de physique générale : la con- » stitution de la matière dans le temps et dans l’espace » — puis un problème de physiologie : le mécanisme » de la vie depuis ses manifestations les plus humbles » jusqu’aux phénomènes de la pensée — enfin, en » troisième lieu, un problème complémentaire des » deux premiers : l ’évolution de l’individu et celle » des groupes sociaux ». Avant d ’examiner de plus près son œuvre scienti fique, je voudrais souligner l ’admirable unité de cette longue existence tout entière orientée vers un haut idéal, qui s’est développée sur le plan de l ’action avec la même rectitude, la même nécessité interne que Solvay aimait à introduire dans son travail scien tifique, si volontiers déductif et logique. De sa vie et de sa pensée se dégage la même impression de puis sance volontaire et de force tranquille que donnait aussi le regard de ses clairs yeux bleus sous le front si droit et les cheveux si drus. Pour un esprit sain et vigoureux comme le sien, ce fut sans doute une bonne fortune que de pouvoir prendre conscience de lui-même, former son carac tère et dégager sa personnalité au cours des années de jeunesse pendant lesquelles la maladie d ’abord, des circonstances difficiles ensuite, lui permirent d ’échapper à cette formation en série à laquelle abou tit trop souvent le passage par la filière scolaire et universitaire. Il eut le temps de penser et de se con naître. Par ses lectures solitaires, par ses méditations d ’adolescent au cours desquelles, comme disent ses biographes, « on acquiert surtout ce qu’on s’est donné à soi-même », il développa et confirma cet amour de la science, cette soif de vérité intellectuelle et morale, vie consacrée par-dessus tout à la recherche de la Vérité. Soustrait, comme le fut Faraday, aux exercices d’assouplissement et d’uniformisation des disciplines classiques, il sortit de ces années de gestation person nelle avec une exceptionnelle vigueur d ’esprit, une volonté fraîche et une légitime confiance dans la rectitude de son jugement. Regardant les choses et les gens en face, aussi clair de cœur que d ’esprit, d ’intention que d’action, il sut faire partager cette confiance aux siens, de manière qui leur fut précieuse à tous pendant les années déci sives de la mise au point du procédé Solvay. Cette confiance s’exprimait de façon touchante lorsque son frère Alfred disait : « Ernest ne peut pas se tromper » et que tous autour de lui acceptaient la ruine éventuelle pour lui permettre de poursuivre son rêve, dont il devait faire une si éclatante réalité. Son œuvre s’est déduite de façon nécessaire de toute son enfance et de toute sa jeunesse. Devant les échecs de tant de prédécesseurs mieux outillés que lui, scientifiquement et matériellement, il n’aurait certainement pas poussé jusqu’au succès final, contre toute espérance, l ’application technique de la réac tion qu’il crut avoir découverte, si celle-ci n’avait, en quelque sorte, fait partie de lui-même, ne lui avait appartenu par toutes les fibres de son être, n ’avait été liée en lui à tout un monde d ’émotions et de souve nirs associés à la saumure de l ’usine paternelle et à l’ammoniaque dont on cherchait l’emploi dans l ’usine à gaz de son oncle Semet — et surtout, s’il l ’avait apprise au lieu de la découvrir lui-même, dans 34 toute la fraîcheur de son intuition chimique, médita tive et solitaire. C ’est également de façon nécessaire que son écla tant et décisif succès est venu influer très profondé ment sur l’orientation de sa pensée scientifique, lui donner confiance dans l ’effort volontaire de pour suivre une idée dans l ’attitude déductive qui, à partir de notions simples et de postulats clairement expri més, cherche à obtenir une représentation du monde et à prévoir les faits que l’expérience aura pour mis sion de vérifier. Il veut, partout comme il l’avait fait pour son premier succès, réfléchir et prévoir avant d ’agir. Le succès total de sa jeunesse lui donne un besoin de plénitude et de totalité, dans la pensée comme dans l ’action, qui lui fait mépriser ses propres tenta tives non poussées jusqu’au bout, et lui permet de suivre sans faiblir, pendant plus de soixante ans, son rêve, souvent divinateur, d ’une synthèse totale et grandiose des lois de l ’Univers, en y comprenant l’interprétation des faits biologiques et sociaux sur des bases rationnelles et physico-chimiques. Voyez comment il s’exprime lui-même à propos des recherches qu’il a entreprises, puis abandonnées, dans le domaine de la science appliquée : « Votre président vous a bien cité, comme un » titre possible, que j ’avais travaillé la lampe à va- » peur de mercure avant Cooper-Hewitt; oui, mais » d ’autres l ’avaient fait avant moi, et c’est Cooper- » Hewitt qui l ’a réalisée. Titre négatif, en consé- » quence; certificat de lâcheur. » Il pourrait vous avoir dit encore que j ’ai fait 35 » breveter autrefois une table électrolytique, que » nous avons cherché ensemble à réaliser l ’arc » électrique étalé, mais il aurait eu tort, puisque, là » encore, j ’ai ou temporairement abandonné ou » lâché. Titres négatifs, toujours. » Que peut-il bien me rester que j ’aurais attaqué » sans l ’avoir aucunement délaissé... grâce à l ’entê- » tement dont je suis affligé, ou dont je suis doué, » si vous voulez, puisque c’est dans le bon sens. » Ce qu’il reste à Solvay, indépendamment de sa grande réussite initiale, dont le développement de vait tenir une si grande place dans sa vie, c’est son œuvre de science pure, poursuivie avec la ténacité dont il s’accuse et aussi les fondations, les Instituts par lesquels il a voulu se survivre. Le désir de science pure, le souci de comprendre sans autre but que la satisfaction d ’un instinct pro fond de l’esprit tendu vers la clarté, a dominé toute la vie spirituelle d ’Ernest Solvay. Il a le cœur et l ’âme du savant qu’il se défend parfois d ’être tout en disant par une belle définition : « A moins qu’on ne puisse » mériter le titre de savant parce qu’on aurait » éprouvé plus que d’autres la soif de savoir et sur- » tout le tourment de la vérité à découvrir. Ce tour- » ment pour moi a été jusqu’à la torture ». Puis : « Oui, moi qui n ’avais pas reçu d ’éduca- » tion classique, j ’ai osé avoir cette ambition de con- » courir à l ’édification du monument de la science » moderne; j ’ai eu l ’audace de faire un plan d ’étu- » des comme un architecte qui dessine le temple de » ses rêves. Par moments, je l’avoue, j ’ai senti avec » angoisse combien ma témérité était grande, com- 3 6 » bien elle m ’exposait peut-être à être sévèrement » jugé par ceux qui ne comprendraient, ni la hau- » teur de mon but, ni l’humilité de mes pensées, ni » surtout mon ardente conviction ». Il dit aussi : « Je ne saurais vivre sans m ’éclairer, » sans chercher à projeter de la lumière ». Ici encore, il exige de lui-même la réussite com plète et la totalité. Il nous disait au premier Conseil de Physique, de 1 9 1 1 , en nous demandant de réaliser une expérience destinée, selon sa propre expression, à confirmer ou à infirmer ses idées, et exprimant en une phrase toute l’unité de sa vie : « Je vous prie d’excuser ma ténacité à cet égard. » Demandez-vous, Messieurs, si elle ne prolonge » pas, ou même ne vaut pas les entêtements indus- » triels de ma jeunesse, que j ’aurais eu tort de ne » pas avoir. » Je tiens pour rien, ajoutait-il, mes succès par- » fiels s’ils ne doivent aboutir à une coordination » logique et nécessaire. » Son aspiration suprême est de réaliser un cercle parfait où toutes les connaissances se fondraient har monieusement. Il disait en 1 9 1 2 : « Voilà près de trente ans que mon activité scien- » tifique est dominée par une grande préoccupation « philosophique, celle de trouver à la science de » l’Univers une interprétation simple par voie de » déduction, à partir de postulats bien établis tels » que celui qui régit la gravitation universelle. Je » voulais une science qui s’élevât au rang d’une phi- » losophie, qui devînt même toute la philosophie. » 37 Dans ce sens, il faut comprendre la formule qu’il aimait : « La Vérité sera la Science, ou elle ne sera pas ». A la façon d ’un cœur, la recherche scientifique, lorsqu’elle est vivante, bat un rythme à deux temps; le premier va du fait à l ’idée, de l ’expérience à la théorie qu’elle suggère; le second soumet l ’idée au contrôle du fait, développe la théorie par voie déduc tive, prévoit des conséquences et les soumet à la véri fication expérimentale. Les deux attitudes sont com plémentaires, et, pour des raisons que j ’ai dites plus haut, Solvay, habitué de prévoir avant d ’agir, adop tait plus volontiers la seconde qui, dans le domaine physico-chimique, le seul où je sois capable de juger, le conduisit à de remarquables anticipations. C ’est d ’ailleurs l’attitude qui convient le mieux à une science adulte, celle qu’ont prise la plupart des théoriciens, des grands constructeurs dans le do maine des idées. Solvay disait encore en 1 9 1 1 : « La méthode que » j ’ai suivie a été déductive. Certes mon travail fon- » damental n ’est pas fini, il n ’est ni parfait, ni corn- » plet. J ’émets, depuis plus de quarante ans, l ’opi- » nion que, pour la reconstitution mentale de » l ’Univers actif à laquelle nous travaillons tous » avec conviction, le dernier mot de suprême éclai- » rement devra être dit par le philosophe plutôt que » par l ’expérimentateur. Dans cette voie, ce ne sera » plus, en général, l ’expérience qui devra, par la » suite, continuer à provoquer le calcul, c’est le cal- » cul qui devra surtout, dorénavant, provoquer l’ex- » périence. » C ’est ainsi, vous le savez, que les choses se sont 38 passées au cours du développement de la théorie de la relativité, qui s’est traduit par deux résultats essen tiels vérifiés par les faits. D ’une part, c’est l ’inexac titude de la mécanique ancienne et son remplace ment par une dynamique nouvelle où la doctrine de la conservation de la masse est remplacée par celle de l ’inertie de l ’énergie. L a masse d ’un corps change lorsque, sans perte ni gain de matière, on fait varier l ’énergie qu’il renferme, par perte ou gain de cha leur par exemple. D ’autre part, du côté de la relati vité généralisée, s’est réalisée la synthèse de l’inertie et de la gravitation et se confirme l’idée essentielle que l’une et l’autre sont dues à une influence réciproque des corps par l ’intermédiaire d ’une incurvation de l ’espace-temps. Il est très remarquable qu’Ernest Solvay, en sui vant la voie très personnelle qu’il s’était ouverte à vingt ans, pour satisfaire son désir de synthèse et son besoin de clarté, ait obtenu longtemps avant la théo rie de la relativité, deux résultats essentiels de celle- ci, dont l ’inertie et l ’énergie, mais seulement de ma nière qualitative et sans pouvoir aller, comme Einstein, jusqu’à la confirmation expérimentale. Cette double prescience témoigne, chez Solvay, de qualités scientifiques de tout premier ordre qu’il aurait suffi d ’une préparation mathématique plus complète pour lui permettre de les faire complètement valoir. Revanche de l ’Université et de la formation classique. Ayant clairement prévu la variation de masse ou de poids d ’un corps avec son énergie interne, Solvay entreprit, entre 1 8 7 7 et 1 881 , une longue série d ’expériences pour mettre en évidence le fait : dimi- 39 nution de poids à la suite d’une réaction chimique dégageant de la chaleur, augmentation de poids d ’un morceau de métal par déformation ou d ’un gyros cope par mise en rotation. L ’échec répété de toutes ces tentatives le conduisit à la conclusion, entièrement confirmée par la relati vité, qui donna la solution quantitative en suivant la voie théorique préconisée par Solvay : « Cet insuccès ne put me décourager, dit-il en » 1 8 9 6 ; en y réfléchissant, les expériences prou- » vaient que l ’équivalent matériel de la chaleur » n ’était pas décelable dans les conditions où l’on » avait opéré. Rien de plus. D ’autre part, des consi- » dérations de diverses natures m ’amenèrent à pen- » ser que cet équivalent devait être tellement mi- » nime que le raisonnement seul, aidé du calcul, » pouvait permettre de le déterminer. » Il fut seul de son avis pendant plus de quarante ans, contre les chimistes et les physiciens les plus éminents. Son illustre compatriote Stas ne voulut rien entendre, et Hirn, un des fondateurs de la ther modynamique, donna en 1 887, à Colmar, une con sultation à Solvay, que celui-ci rapporte dans les ter mes suivants : « Pendant trois heures (de neuf à m idi), Hirn » chercha à me démontrer, avec une insistance » fébrile, avec une conviction violente, que les bases » de la mécanique rationnelle étaient des faits, et » qu’il était absolument inutile de chercher un seul » instant à aller à leur encontre d ’une manière quel- » conque. Il parlait en chef d’école, il était absolu, » me mettant constamment, par son argumentation » continue, dans l ’impossibilité de lui répondre, ne 40 » me donnant pas la parole pour défendre mon sys- » tème. Evidemment, il considérait cela comme » inutile : ne devais-je pas reconnaître mon erreur » puisqu’il me la démontrait. Après cela nous déjeu- » nâmes le plus cordialement du monde. » Nous avons retrouvé pareille intransigeance chez les partisans de la mécanique ancienne au cours des discussions sur la relativité. Les passages suivants d ’un travail sur la « Gravi- tique », publié en 1 894, montrent avec une clarté parfaite, l ’anticipation de Solvay sur Mach et E in stein en ce qui concerne la relativité généralisée : « Nous avions été frappés par ce fait que le mou- » vement n ’est pas autre chose qu’un déplacement » de matière dans l’espace, un changement du lieu » occupé par cette matière et que, par conséquent, » l ’espace, en dynamique, devant être considéré » comme infini en étendue, s’il n ’y existait qu’un » seul atome matériel, on ne saurait en définir la » position, c’est-à-dire lui assigner un « endroit » » quelconque de cet espace. En d ’autres termes, il » n ’y a pas de lieux dans l ’immensité sans limites » par rapport à cette immensité elle-même et il nous » était dès lors impossible de comprendre que le dé- » placement seul de la matière pût y coûter quoi que » ce fût. » Mais il y a des lieux dans l ’immensité par rap- » port aux corps qui s’y trouvent plongés et, sachant » cela, comme il est reconnu qu’un changement de » lieu, c’est-à-dire un déplacement de matière en- » traîne réellement une dépense d ’énergie, nous » avions pu nous persuader déjà que c’était à cause 4 1 » de l ’existence de ces corps et non par le seul fait » de la communication du mouvement. » Sachant, en outre, que la matière se comporte » comme si elle attirait la matière, nous avons été » portés encore à regarder cette dernière interpréta- » tion comme exacte, et à rechercher dans la gravita- » tion de la matière ce que l’on a cru trouver dans » son inertie. » L a première réunion du Conseil de Physique, en 1 9 i i , était destinée, dans l ’intention primitive de Solvay, à soumettre ses vues à une discussion et à chercher avec nous la possibilité de confirmations expérimentales. Malheureusement, leur caractère trop qualitatif ne permettait pas encore un exarnen précis. Avec sa simplicité d ’attitude et sa hauteur de vues coutumières, Solvay le reconnut et nous pria de con sacrer la semaine de notre réunion à l ’examen des difficultés qui nous paraissaient les plus importantes en physique, à ce début de la crise des quanta dont la gravité fut, à cette occasion, reconnue pour la pre mière fois de manière générale. En se séparant de nous, le dernier jour, Solvay, non seulement nous remercia de nos efforts, mais fit promettre à notre grand Lorentz d ’organiser une nouvelle réunion deux ans plus tard, et fit davantage encore en réalisant, dans l’intervalle, la fondation de l ’Institut International de Physique, qui tiendra l ’année prochaine son septième Conseil et dont l ’exis tence est assurée pour une longue période, grâce à la piété filiale et à l ’intérêt vivant pour la science des enfants d ’Ernest Solvay. L ’Institut de Chimie Solvay fut fondé peu de temps après sur les mêmes bases, sous la présidence de Sir William Ramsay, remplacé depuis par Sir William Pope. De même que la pensée d ’Ernest Solvay fut pro fondément influencée, du côté physico-chimique, par le développement de l’énergétique, commencé dans sa jeunesse, et auquel il consacra lui-même un nombre important de travaux, la théorie de l’évolution devait, un peu plus tard, le confirmer dans son espoir en une synthèse à base physico-chimique et s’étendant à tout l’ensemble des sciences de la nature et des sciences de l’homme. « J ’admets, disait-il, une filiation complète et con- » tinue entre les réactions chimiques simples, les » réactions chimiques organisées ou cellules vivantes, » les associations de cellules ou êtres vivants, les » associations d ’êtres vivants ou sociétés animales, » enfin les sociétés humaines. » D ’accord avec son ami Paul Héger, dont il m ’est très doux d ’évoquer ici, à côté du sien, le souvenir, il avait fondé, dès 1 888, l ’Institut de Physiologie, dans le but de travailler au développement de la synthèse qu’il rêvait, puis, avec W axweiler et dans un but ana logue, l ’ Institut de Sociologie. L a compétence me manque pour apprécier les résultats obtenus par Solvay lui-même et par ses Insti tuts dans ces -deux directions. Je voudrais seulement ne pas terminer sans souligner que le grand cœur de Solvay avait senti et admirablement exprimé par anti cipation, du côté humain, l ’équivalent de ce que son puissant esprit avait pressenti du côté de la science pure. D ’une part, il attribuait à l’ignorance l ’origine de la plupart des conflits sociaux, sinon des conflits inter- 43 ■■ — ■ nationaux et préconisait la diffusion immédiate de l ’instruction populaire, l ’organisation d ’un enseigne ment basé sur l ’intérêt de tous — l’avènement de la justice par la science. D ’autre part, il a eu cette formule que je trouve admirable : « La Société est condamnée à la Justice, sous peine de mort ». Elle représente, étant donné l’époque où elle fut exprimée, une impressionnante anticipation de la situation dans laquelle se trouve actuellement notre humanité : menace de mort par la guerre si nous ne créons pas la justice internationale — menace pres que aussi grave, et d ’ailleurs connexe, par l’abus de la machine, si nous reculons devant la justice sociale. C ’est le développement inouï des applications de la science qui rend si graves l’un et l ’autre dangers. Si, comme nous voulons tous l’espérer, nous savons four nir à temps l’effort nécessaire pour y échapper, cette science, que Solvay aimait tant, aura, par un singulier détour, contraint les hommes à créer la justice. Que n’est-il avec nous pour y travailler de sa force tran quille. Puisons, dans son exemple, la confiance et la ténacité nécessaires à l’action. 44 Les aperçus nouveaux que suggère ce dernier dis cours sur l ’esprit d ’anticipation d ’Ernest Solvay, font grande impression sur l ’assistance. C ’est alors que le Roi, accompagné du Duc de Brabant, se rend au pied du Monument et y dépose une gerbe de fleurs. Puis, à tour de rôle, M. le Ministre des Affaires Etrangères, M. le Bourgmestre Max, M. Francqui, Ministre d ’Etat et Président du Comité National; après eux encore, les délégués de divers organismes fleurissent abondamment la terrasse à trois degrés qui entoure le Monument. Une sonnerie de clairons annonce la fin de la céré monie. Tandis que se retirent le Roi et le Duc de Brabant, la foule des invités et des assistants défile lentement devant la statue d ’Ernest Solvay. 45 Le monument porte les inscriptions suivantes Sur la face : E R N E S T S O L V A Y 1838 - 1922 F O N D A T E U R D U C O M IT É N A T IO N A L 1 9 1 4 - 1 9 1 8 Sur le côté droit : CRÉATEUR DE L’INDUSTRIE DE LA SOUDE A L ’AMMONIAQUE FONDATEUR DES INSTITUTS INTERNATIONAUX DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Sur le côté gauche : FONDATEUR DES INSTITUTS DE PHYSIOLOGIE ET DE SOCIOLOGIE ET DE L ’ÉCOLE DE COMMERCE DE L ’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Achevé d’imprimer le 28 février 1933 sur les presses de J.-E. Goosssens, à Bruxelles. Les clichés de photographie et d’héliogravure ont été exécutés par les Etablissements Jean Malvaux, à Bruxelles.
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Pas de mention d'auteur, “Hommage national à Ernest Solvay. Inauguration du monument 16 octobre 1932”, 1933, École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Bibliothèque, L9/03. Consulté le 30 avr. 2025, https://bibnum.explore.psl.eu/s/psl/ark:/18469/26fj
À propos
Fascicule broché, 47 pages numérotées, couverture papier cartonné gris virant au marron.
Notice
Créateur
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Contributeur
Huymans, Paul
Langevin, Paul (1872-1946) (1872-1946)
Date
1933
Type
Document dactylographié
Format
Fascicule broché imprimé, 16,8 x 25,7 cm
Langue
fre
Sujet
Physique
Commémorations
Hommage
Institut Solvay
Couverture temporelle
1901-2000
Est une partie de
Fonds Paul Langevin
Source
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Bibliothèque
L9/03
Droits
Domaine public
Détenteurs des droits / Numérisation
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris
Université PSL
Identifiant
ark:/18469/26fj
Couverture
20e siècle, Europe