Le discours philosophique de l'action
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Le discours philosophique de l'action
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Mon projet d'enseignement se situe dans le prolongement de la Philosophie de la volonté qui est le fil conducteur de mes publications [...]
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1969
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ark:/18469/mxkf
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Fonds Ricœur
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PAUL RICŒUR
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION
Projet d'enseignement au Collège de France, 1969
© Fonds Ricœur, 2015
Archives du fonds Ricœur, dossier CL 14, feuillets 31752-31759
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION.
Projet d'enseignement au Collège de France
Mon projet d'enseignement se situe dans le prolongement de la Philosophie de la volonté qui est
le fil conducteur de mes publications.
Initialement, cette philosophie avait pour ambition d'étendre à la fonction pratique de la
conscience les principes et les méthodes de description, d'analyse et de compréhension, que Husserl
avait, par priorité et par privilège, appliqués à la fonction théorique, en descendant de la logique à la
perception. J'avais pris une connaissance exacte de ces principes et de ses méthodes en traduisant, pour
ma thèse complémentaire, les Idées pour une phénoménologie pure du fondateur de la phénoménologie.
Le Volontaire et l’Involontaire, qui fut ma thèse principale de doctorat, représente la première réalisation
de ce projet. J'y appréhendais successivement les notions de projet, de décision, de choix, de motion
volontaire, de consentement à l'involontaire. Les limites de ce travail ne tardèrent pas à apparaître ; j'y
rencontrais, sans pouvoir le résoudre, le conflit entre une phénoménologie de la motivation et une
explication objective et causale du comportement. En outre, l'ampleur du problème de l'action humaine
n'était pas aperçue; en particulier, les conditions d'une action sensée, qu'elle soit technique, économique
ou politique, le problème même du sens dans la sphère de l'action, n'y étaient pas abordés ; la
description restait cantonnée dans les bornes d'une psychologie phénoménologique appliquée au
« vécu » de la volition, à travers tous ses degrés de maîtrise et d'impuissance.
Le premier élargissement de l'horizon de recherche vint avec l'investigation d'une des
expériences les plus significatives de l'existence humaine, celle de la volonté mauvaise ; sans
aucunement m’engager dans des jugements de caractère moral sur ce qui pourrait être tenu
universellement pour bon ou mauvais − si tant est qu'un tel jugement puisse être prononcé − je
m'attachais aux conditions mêmes de l’aveu de la volonté mauvaise. Je discernai d'abord diverses
structures de faillibilité − de fragilité et de faille − propres à la réalité humaine, en un sens assez proche
de ce que Pascal appelle la « disproportion » ; cette investigation constitue l'objet de l'Homme faillible ,
tome 2 de la Philosophie de la Volonté ; ce travail restait dans les limites d'une méthode réflexive qui
m'éloignait quelque peu de Husserl pour me rapprocher de Jean Nabert, dont je compris assez
tardivement l'œuvre, bien qu'elle eût été digne d'avoir inspiré les premiers travaux.
Avec la Symbolique du Mal, je franchis un pas décisif ; la clarté de la psychologie
phénoménologique, l'immédiateté de la méthode réflexive se trouvaient mises en défaut par des formes
de discours que je trouvais impliquées dans l'aveu même du mal ; pour la première fois, je rencontrais
des expressions d'une structure sémantique déroutante, à savoir des expressions à sens double ou
multiple, qui appelaient une méthode d'interprétation ou de déchiffrage. Bref, j’étais mis en face des
expressions symboliques et mythiques du mal humain et j'étais requis par ces expressions de prolonger
la méthode réflexive par une herméneutique, c'est-à-dire une méthode interprétative. Je consacrai ainsi
le troisième tome de ma Philosophie de la Volonté à l'étude des symboles principaux de l’aveu, véhiculés
par les cultures que je trouve à la source de ma propre mémoire, principalement l'hébraïque et la
grecque. Sans m’élever encore à une théorie générale du symbole, je m'appliquai du moins à constituer
une typologie et une critériologie de la symbolique sous-jacente à la conceptualité de la culture
occidentale concernant le sens du mal, qu'on l'appelle péché ou culpabilité.
Mais ce travail ouvrait plus de questions qu'il n'en résolvait. La continuité entre la méthode
phénoménologique et réflexive, d'une part, et l'herméneutique, d'autre part, était sans doute
sauvegardée ; et cela d'une double façon : d'un côté la réflexion était arrachée à son abstraction et à son
illusion d'immédiateté et de transparence par le long détour que lui imposait l'interprétation des signes,
des œuvres et des monuments ; ainsi l'herméneutique assurait le passage de la réflexion abstraite à la
réflexion concrète, sans briser le principe même de l'analyse effective ; de l'autre côté, l'analyse
purement sémantique des symboles et des mythes se trouvait soustraite à la tentation d'un pur jeu de
langage, dans la mesure où elle trouvait un ancrage dans le vœu d'une compréhension de soi plus vaste,
plus lucide et plus véridique ; en progressant ensemble, la compréhension des signes et la
compréhension de soi ne brisaient pas la corrélation de la méthode réflexive et de l'herméneutique.
Et pourtant l'espèce de serment sur lequel se termine la Symbolique du mal − « le symbole
donne à penser » − n'a pas encore été tenu. Le symbole est-il seulement une forme provisoire et
imaginative du concept ? Si oui, dans quelle philosophie peut-il être pensé radicalement ? C'est la
question de Hegel et de Schelling. Sinon, une philosophie qui préserve le primat du symbole sur le
concept est-elle encore une philosophie, c'est-à-dire une entreprise rationnelle ?
Cette question s'est dressée devant moi comme une paroi. On trouvera dans mon récent recueil
d'articles − le Conflit des interprétations (IV° partie. La Symbolique du mal interprétée) − quelques
tentatives pour résoudre ce problème de la rationalité du symbolique. Mais, parallèlement à ces essais
partiels, j'ai cherché la solution dans des voies moins abruptes et moins directes. J'en ai exploré deux, au
cours de cette décade.
La première fut celle de la psychanalyse. J'y avais été conduit de plusieurs côtés ; dès le
Volontaire et l'Involontaire, j'avais rencontré l’Inconscient comme une figure de l'involontaire absolu ;
quant à la Symbolique du mal, elle imposait à ma considération aussi bien le problème limité de la
culpabilité que le problème beaucoup plus vaste du fantasme et des illusions. Leur interprétation relevait,
à l'évidence, d'une autre interprétation que celle que je pratiquais. J'étais ainsi affronté à l'idée du conflit
des interprétations. Je crus quelque temps que l'explication freudienne de la culpabilité et la
confrontation de deux herméneutiques opposées − réflexive et psychanalytique − pourrait fournir un
chapitre du tome suivant de la Philosophie de la volonté qui se placerait sur le trajet du symbole au
concept. Mais l'obstacle freudien exigea un débat global avec le système entier de la psychanalyse ; je lui
consacrai tout un volume : de L'Interprétation. Essai sur Freud. Afin de bien dissocier la reconstruction
du système de mon débat philosophique avec lui, je distinguai, dans mon ouvrage la lecture de Freud et
une interprétation philosophique, à savoir la reprise de l'inconscient freudien dans une philosophie de la
réflexion concrète. Mais cette interprétation n'est déjà plus la simple reprise de l'herméneutique réflexive
qui régnait encore dans la Symbolique du mal : la crise de la notion de sujet, engendrée par les notions
topiques et économiques du freudisme, affecte le projet même d'une philosophie réflexive ; la
compréhension de soi y apparaît moins comme une certitude initiale que comme une vérité terminale,
par-delà la critique des illusions premières ; le détour par les signes, déjà requis par la Symbolique du
mal, devenait un périple interminable, où le Cogito se réduit à une vérité formelle, à laquelle seul le
procès entier de l'interprétation et des interprétations serait susceptible de donner une chair.
La seconde voie que j'explorai, avant de reprendre le problème au point où l'avait conduit ma
Symbolique du mal, fut la sémantique des linguistes français et des « analystes » anglais. Je ne pus en
effet me satisfaire longtemps de la conception schématique du sens multiple que j'appliquais au symbole.
Les études et l'enseignement de philosophie du langage que je poursuivis parallèlement à mes
recherches sur Freud, m'ont fait prendre conscience de la difficulté d'aborder la notion de polysémie sans
une longue préparation et une maîtrise suffisante des phénomènes les plus généraux et les plus
fondamentaux du langage. Ce nouveau détour, à la différence du précédent, n'a donné lieu à aucun
ouvrage comparable à celui que je consacrai à Freud, mais seulement à plusieurs articles dont les
principaux sont reproduits dans le Conflit des Interprétations (I° partie : herméneutique et
structuralisme). Il en ressort un certain parallélisme et une certaine convergence entre les problèmes
posés à une philosophie de type réflexif par la psychanalyse et par la linguistique. Les lois structurales de
la langue, en tant que système « inconscient » conditionnant la parole, mettent en question, autant que
la psychanalyse le fait, le primat du sujet et la maîtrise qu’il prétend exercer sur ses contenus de pensée
et d'action. Dans les deux cas l'affirmation du sujet est comme ajournée, reportée au terme d'un long
détour. Mais, dans les deux cas aussi, le sens de ce détour est dans la promotion d'une nouvelle qualité
de subjectivité, enrichie de toutes les illusions perdues. J'avais esquissé, dans le livre sur Freud, la voie
d'une reprise du sujet, au-delà de la déprise que demande la psychanalyse. J'esquisse dans mes articles
la voie parallèle qu'offre une réflexion sur le langage ; je m'y appuie essentiellement sur la fonction de la
phrase dans le discours ; j'y discerne une organisation distincte de celle de la langue, qui seule relève
proprement de l'analyse structurale ; alors que la langue constitue un système clos d'entités discrètes,
en nombre limité, définies seulement par des relations négatives et oppositives, − et par conséquent ne
postule ni référence à un monde qui serait extérieur au langage, ni désignation d'un sujet qui le
constituerait, − la phrase, dans l'instance de discours, opère chaque fois la synthèse du système dans un
événement et dans un acte ; c'est cet acte synthétique qui tout à la fois fait référence à un monde sur
quoi on dit quelque chose et à un sujet qui parle.
Ainsi j'étais conduit, par la psychanalyse et par la linguistique, à remettre en chantier la
philosophie initiale de la réflexion, à allonger le détour par les structures de l'inconscient et de la langue,
et à retrouver la puissance réflexive de l’ego au-delà de la traversée des régions de l'anonyme et de
l’impersonnel. L'article intitulé : « la question du sujet : le défi de la sémiologie » (le Conflit des
Interprétations. III° partie : herméneutique et phénoménologie) fait le point de ma position actuelle sur
ces problèmes.
Mon projet d'enseignement serait la continuation même de ma philosophie de la volonté, reprise
au point où l’a laissée la Symbolique du mal et enrichie par mes recherches latérales sur l'inconscient et
sur le langage.
J'appelle ce projet : Discours philosophique de l'action.
Je préfère aujourd'hui le terme d'action à celui de volonté pour plusieurs raisons. D'abord, une
réflexion philosophique doit, plus que jamais, se développer dans un rapport étroit avec les sciences
humaines, lesquelles mettent en œuvre des notions telles que comportement, conduite, action, qui
désignent la matière sur laquelle le philosophe réfléchit ; à cet égard, la dichotomie entre la
phénoménologie et la science ne me satisfait plus ; la relation sommaire de « diagnostic » que je voyais
il y a 20 ans entre l'observation objective et le vécu, entre cause et motif , entre corps propre et corps
objet, doit être entièrement remise en chantier. Seconde raison de parler d'action plutôt que de volonté :
la philosophie classique n'a connu sous ce nom que la zone éclairée de l'action humaine ; il s'agit
aujourd'hui d'intégrer la pulsion, le désir, au champ pratique. Enfin, troisième raison, l'action humaine se
réalise dans des structures techniques, économiques, politiques, à l'égard desquelles la volonté constitue
seulement le segment intentionnel accessible à l'introspection. C'est donc un concept à la fois plus ample
et plus articulé que celui de volonté qui doit unifier ce que je viens d'appeler le champ pratique.
Maintenant quel discours est en propre celui du philosophe ?
Je voudrais explorer plusieurs possibilités que je hiérarchise provisoirement de la façon suivante
: à un premier niveau, celui d'une sémantique philosophique, se regrouperaient des analyses qu'on peut
dire phénoménologiques avant la lettre, comme celle d'Aristote dans l'admirable livre III de l' Éthique à
Nicomaque, − puis les analyses proprement phénoménologiques, − puis les analyses plus neuves de la
linguistic analysis des Anglais, auxquelles j'ai déjà consacré plusieurs cours à la Sorbonne et à Nanterre ;
en effet, on trouve chez Austin, Strawson, Hampshire, Mrs Anscombe, Searle, une théorie des énoncés
sur l'action qui demande à être combinée avec l'analyse essentielle de Husserl. Ainsi serait mise en place
une sémantique de l'action qui ne tomberait pas dans le piège d'une psychologie phénoménologique
(justement dénoncée par Jean Piaget) et qui ne ferait pas non plus double emploi avec une psychologie
du comportement, ou une sociologie de l'action ; elle serait d'abord instruite par ces sciences, avant de
prétendre les réfléchir au plan des énoncés et les significations
Aussi limité que soit encore cette première approche, sa fécondité est indéniable. C'est à ce
niveau que pourrait être réalisé quelque chose d'un projet plus vaste qui me tient à cœur et auquel je
consacre par ailleurs un enseignement dans le cadre du centre de phénoménologie aux Archives Husserl
(laboratoire associé du C.N.R.S.), à savoir la confrontation et l'enrichissement mutuel de la
phénoménologie « continentale » et de l'analyse conceptuelle et linguistique « insulaire », à partir
principalement de la théorie des énoncés ; car le sens du vécu, pour parler comme Husserl, n'est pas à
chercher ailleurs que dans le sens des énoncés dans lesquelles ce vécu s'exprime ; inversement,
l'analyse linguistique, principalement lorsqu'elle est appliquée au langage ordinaire, a pour référent une
expérience vive, dont la finesse de l'instrument linguistique déploie toutes les complexités (c'est en ce
sens qu' Austin appelle sa méthode une « phénoménologie linguistique »). Enfin c'est à ce premier
niveau que peut être rendue manifeste une certaine continuité et stabilité de l'analyse philosophique à
travers l'histoire, comme le rappel du nom d'Aristote le suggérait à l'instant ; l'identité de cette
phénoménologie peut-être discernée, en dépit de la diversité des systèmes philosophiques, chez les
stoïciens, dans la scolastique, dans la philosophie classique et jusque dans l'idéalisme allemand, avant
qu'elle trouve sa justification de principe, en tant que phénoménologie, chez les auteurs contemporains.
Ainsi est-il possible de cerner un type de discours sur l'action qui soit la reprise du discours
même de l'action, selon sa sémantique propre.
Il m'apparaît maintenant que cette première sorte de discours ne peut pas et n'a jamais pu
épuiser la philosophie de la volonté et de l'action. La phénoménologie a toujours été seulement une
phase à l'intérieur d'un discours plus vaste que l'on peut appeler le discours sur l'action sensée ; chez
Aristote, en qui on peut voir le fondateur de la phénoménologie de la volonté, celle-ci n'est qu'un
segment d'analyse à l'intérieur d'un traité sur la vertu nulle c'est-à-dire sur l'excellence de l'action ; le
problème d'un accomplissement significatif de la vie humaine constitue ainsi l'enveloppe concrète de la
phénoménologie de la volonté ; plus précisément, la science architectonique à laquelle la description et
l'analyse conceptuelle du volontaire et de l'involontaire sont subordonnées, c'est la politique ; c'est donc
le discours éthico-politique qui constitue le seul discours autonome. Or, cette problématique englobante,
introduit dans le concept même de l'action une différence non phénoménologique, celle de l'arbitraire et
de la norme ; l'allemand rend mieux compte que le français de cette scission entre Willkür et Wille, qui
est fondamental dans la philosophie Kantienne et dans la philosophie Hégélienne ; la différence est ici
non phénoménologique, en ce sens que la description du libre choix convient aussi bien à l'action
insensée qu'à l'action sensée : l'arbitre est aussi bien à l'arbitraire.
Est-ce à dire que le second discours soit celui de l'éthique ? Non, si on réduit l'éthique à la
théorie de la moralité, à la façon Kantienne ; oui si on entend par éthique, à la façon de Spinoza, le
parcours entier de penser qui va de la connaissance de l'esclavage à celle de la liberté et de la béatitude,
parcours dont la théorie de la moralité n'est elle-même qu'un segment abstrait. Je préférerais parler de
philosophie pratique pour désigner ce champ de l'action sensée. C'est une théorie de la pratique, selon
toutes les dimensions de son sens, qui serait ici requise. Mais quelle sorte de discours est susceptible
d'en préserver l'unité, à travers la diversité de ses champs d'application ?
C'est ici que je voudrais mettre à l'épreuve l'hypothèse selon laquelle la théorie de la pratique
requiert la sorte de discours dialectique que Hegel déploie dans les Principes de la Philosophie du Droit,
où j'ai tendance à reconnaitre la Philosophie de la Volonté par excellence ; cette œuvre, en effet, est tout
entière appliquée à opérer le passage de la volonté arbitraire à la volonté sensée, à travers une série de
sphères d'actualisation de la liberté : sphère du droit abstrait, sphère de la moralité subjective, sphère
de la moralité objective, laquelle est pour l'essentiel celle de l' économique et du politique. Or ce passage
et cette série de passages ne peuvent être opérés dans un discours de l'identité, lequel suscite une
masse d'antinomies sans médiation, comme on voit dans la philosophie pratique de Kant. L'actualisation
de la liberté, fil conducteur de la philosophie pratique, n'est pensable que dans un discours qui surmonte
l'antinomie par la médiation.
Mon projet, qui n'est pas historique mais systématique, rencontre donc l'énorme question de
savoir ce qui peut aujourd'hui être réactivé de cette sorte de philosophie. Le problème serait sans
solution si la reprise du discours hégélien, sinon dans ses articulations principales du moins dans son
modèle d'intelligibilité, requérait que l'on adopte le système hégélien dans sa totalité. C'est une question
de savoir si la dialectique y a partout le même sens et fait vraiment système ; je croirais volontiers que
la volonté, en tant que telle, développe une dialectique propre, qui est une dialectique de dialectiques
partielles. J'en citerai seulement trois espèces : aucune philosophie de la volonté n'est possible si elle ne
se donne un instrument de pensée qui pose et surmonte l'antinomie du désirable et du raisonnable :
pour Aristote déjà, la volonté est un « désir délibératif » ; après Freud, la tâche est encore plus urgente
de comprendre les articulations entre la pulsion et l'action consciente et responsable. Seconde dialectique
: l'action coordonne deux ordres de représentations, la représentation théorique et la représentation
pratique : on a conçu longtemps cette conjonction sur le mode d'une interaction entre deux « facultés »,
telles que l'entendement et la volonté ; ce qui est ici à penser, c'est la promotion mutuelle du théorique
et du pratique dans une sorte de spirale du sens. Enfin, la transition de la volonté subjective, objet réduit
de la phénoménologie de la volonté, à la volonté objective qui sous-tend les déterminations éthico-
politiques de la volonté, n’est pas pensable hors d’une constitution dialectique de la volonté ; c'est
pourquoi l'unité de la problématique de la volonté, encore préservée par Aristote, a été perdue au cours
des siècles ; une psychologie de la décision et de l'assentiment a occupé toute la place, tandis que le
noyau politique émigrait hors du champ de la philosophie de la volonté, pour graviter autour des
concepts fondamentaux de la philosophie politique, concepts de pouvoir, de puissance, de souveraineté ;
l'unité dialectique du problème de la volonté − en tant qu'individuelle et collective, psychologique et
politique − est alors perdue. C'est la fonction d'une philosophie qui prend pour axe l'actualisation de la
liberté, de remembrer le domaine de l'action sensée, brisé entre la psychologie et la science politique.
Ainsi, la philosophie de la volonté est pour l'essentiel une philosophie des transitions, des
passages, des dissociations surmontées et maintenues. Oserai-je risquer l'hypothèse de travail que la
volonté est le dialectique par excellence ? S'il en était ainsi, nous serions ici au centre de constitution et
de prolifération d'une philosophie dialectique que rien ne contraindrait à clore dans un savoir absolu. Au
contraire, si le volontaire est le dialectique et si le dialectique est le volontaire, les structures de l'action
sensée exigent, outre la possibilité de récapituler le sens déjà échu dans un système provisoire,
l'exigence d'ouvrir, voire de briser, le système par la flèche intentionnelle du désir. La structure de
l'action sensée exige à la fois, pour avoir sens − pour faire sens −, ouverture et fermeture : fermeture
par le savoir et ouverture par l'espérance. Finalement cette structure fermée-ouverte du système de
l'action nous permet d'échapper à l'alternative apparente entre Kant et Hegel. Le Hegel de la Philosophie
du Droit a vaincu, à mon avis, le Kant de la Critique de la Raison Pratique, ou plutôt celui de l'Analytique
de la raison pratique ; en effet, un formalisme moral ne peut pas, sans contradiction insoluble, satisfaire
aux exigences d'une philosophie de la réalisation de la liberté ; c'est pourquoi la moralité subjective de
Kant ne peut être qu'un moment abstrait d'une philosophie pratique. Par contre, le Kant de la philosophie
de l'illusion transcendantale, le Kant de la philosophie des limites, le Kant de la dialectique de la Raison
Pratique, le Kant de la Religion dans les limites de la simple raison, n'a pas été vaincu par Hegel. Les
deux dialectiques, celle de Hegel et celle de Kant, sont à penser ensemble, sur la base d'une réflexion
appliquée aux structures de l'action sensée et au jeu de la fermeture par le savoir déjà échu et de
l'ouverture par le désir et l'espérance. Une théorie du sens, comme direction de sens, serait alors celle
qui exprimerait le mieux les exigences du discours de l'action sensée.
C'est sur la base de ce discours que pourraient être reprises les questions laissées en suspens à
la fin de la Symbolique du Mal et dont j'évoquais plus haut le caractère embarrassant : si « le symbole
donne à penser », quelle est la place de l'herméneutique des symboles dans le discours philosophique ?
Ce que je viens d'appeler le jeu de la fermeture de l'ouverture du discours sensé, laisse apercevoir la
place en creux de l'interprétation.
Qu'une philosophie de la volonté doive s'avancer jusqu'à ce point où une dialectique appelle une
herméneutique, la tradition philosophique elle-même le suggère : chez Aristote, l’Éthique s'appuie sur
une conception de l'action comme ergon de l'homme et cet ergon révèle quelque chose d'un fonds d'être
qui est lui-même energeia. Or les notions de puissance, d’acte, etc., appartiennent à ce plan de discours
où il est avoué que « l’être se dit de multiples façons ». Cette interrogation suggérée par la lecture
d'Aristote reçoit un renfort immense de la part de Nietzsche. Il n'est pas possible, en effet, de faire
aujourd'hui une philosophie de la volonté qui ne soit pas en débat avec Nietzsche autant qu'avec
Aristote, Kant et Hegel. Or, avec Nietzsche, nous avons à la fois la tentative la plus extrême pour penser
l'émergence de l’être comme volonté − quoi que signifie volonté de puissance − et la reconnaissance du
caractère perspectiviste de la vérité. Ontologie et interprétation se conjoignent au point le plus extrême
de l'interrogation philosophique.
Est-ce à dire que le discours sur l'action sensée est aboli ? Il ne l'est pas plus, sans doute, que la
sémantique de l'action n’est abolie par le discours dialectique. Il le serait, si nous n'avions ni le droit ni la
possibilité de desserrer la prise du savoir absolu sur la dialectique de la volonté sensée. Entre dialectique
et herméneutique il faudrait alors choisir. Par contre, s'il s'avère que le discours dialectique est toujours
solidaire de quelques interprétations concernant l’être de l’agir, un passage pourrait être ouvert qui
joindrait le discours dialectique et le discours herméneutique. La confrontation entre Hegel et Nietzsche
est peut-être une tâche écrasante ; elle doit du moins être tentée et assumée. C'est précisément le sens
de mon projet d'enseignement de réfléchir sur la hiérarchie des discours philosophiques : discours
phénoménologique, discours dialectique, discours herméneutique. Le langage, sans cesse consulté, n’est
pas ici un monde clos sur lui-même. Aucune hypostase linguistique ne pèse sur un projet qui s'appelle
discours de l'action sensée. Bien au contraire, la progression d'un discours à l'autre jalonne la conquête
de « la chose même ». C'est pourquoi je me risque à dire : discours de l'action et non pas seulement
discours sur l'action. C'est vraiment la progressive révélation du sens d'être de la réalité humaine comme
volonté et comme action qui est l'enjeu de cette investigation qui se poursuit dans et par le discours.
L'horizon le plus lointain de mon projet serait de montrer comment la hiérarchie des discours
accompagne la conquête progressive, à partir du phénomène du « Volontaire et de l' Involontaire », des
racines de l’agir humain. Ne serait-ce pas la fonction d'une philosophie de la volonté et de l'action que de
restituer la dimension d'une ontologie où l’être est vraiment acte et agir ?
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION.
PAUL RICŒUR
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION
Projet d'enseignement au Collège de France, 1969
© Fonds Ricœur, 2015
Archives du fonds Ricœur, dossier CL 14, feuillets 31752-31759
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION.
Projet d'enseignement au Collège de France
Mon projet d'enseignement se situe dans le prolongement de la Philosophie de la volonté qui est
le fil conducteur de mes publications.
Initialement, cette philosophie avait pour ambition d'étendre à la fonction pratique de la
conscience les principes et les méthodes de description, d'analyse et de compréhension, que Husserl
avait, par priorité et par privilège, appliqués à la fonction théorique, en descendant de la logique à la
perception. J'avais pris une connaissance exacte de ces principes et de ses méthodes en traduisant, pour
ma thèse complémentaire, les Idées pour une phénoménologie pure du fondateur de la phénoménologie.
Le Volontaire et l’Involontaire, qui fut ma thèse principale de doctorat, représente la première réalisation
de ce projet. J'y appréhendais successivement les notions de projet, de décision, de choix, de motion
volontaire, de consentement à l'involontaire. Les limites de ce travail ne tardèrent pas à apparaître ; j'y
rencontrais, sans pouvoir le résoudre, le conflit entre une phénoménologie de la motivation et une
explication objective et causale du comportement. En outre, l'ampleur du problème de l'action humaine
n'était pas aperçue; en particulier, les conditions d'une action sensée, qu'elle soit technique, économique
ou politique, le problème même du sens dans la sphère de l'action, n'y étaient pas abordés ; la
description restait cantonnée dans les bornes d'une psychologie phénoménologique appliquée au
« vécu » de la volition, à travers tous ses degrés de maîtrise et d'impuissance.
Le premier élargissement de l'horizon de recherche vint avec l'investigation d'une des
expériences les plus significatives de l'existence humaine, celle de la volonté mauvaise ; sans
aucunement m’engager dans des jugements de caractère moral sur ce qui pourrait être tenu
universellement pour bon ou mauvais − si tant est qu'un tel jugement puisse être prononcé − je
m'attachais aux conditions mêmes de l’aveu de la volonté mauvaise. Je discernai d'abord diverses
structures de faillibilité − de fragilité et de faille − propres à la réalité humaine, en un sens assez proche
de ce que Pascal appelle la « disproportion » ; cette investigation constitue l'objet de l'Homme faillible ,
tome 2 de la Philosophie de la Volonté ; ce travail restait dans les limites d'une méthode réflexive qui
m'éloignait quelque peu de Husserl pour me rapprocher de Jean Nabert, dont je compris assez
tardivement l'œuvre, bien qu'elle eût été digne d'avoir inspiré les premiers travaux.
Avec la Symbolique du Mal, je franchis un pas décisif ; la clarté de la psychologie
phénoménologique, l'immédiateté de la méthode réflexive se trouvaient mises en défaut par des formes
de discours que je trouvais impliquées dans l'aveu même du mal ; pour la première fois, je rencontrais
des expressions d'une structure sémantique déroutante, à savoir des expressions à sens double ou
multiple, qui appelaient une méthode d'interprétation ou de déchiffrage. Bref, j’étais mis en face des
expressions symboliques et mythiques du mal humain et j'étais requis par ces expressions de prolonger
la méthode réflexive par une herméneutique, c'est-à-dire une méthode interprétative. Je consacrai ainsi
le troisième tome de ma Philosophie de la Volonté à l'étude des symboles principaux de l’aveu, véhiculés
par les cultures que je trouve à la source de ma propre mémoire, principalement l'hébraïque et la
grecque. Sans m’élever encore à une théorie générale du symbole, je m'appliquai du moins à constituer
une typologie et une critériologie de la symbolique sous-jacente à la conceptualité de la culture
occidentale concernant le sens du mal, qu'on l'appelle péché ou culpabilité.
Mais ce travail ouvrait plus de questions qu'il n'en résolvait. La continuité entre la méthode
phénoménologique et réflexive, d'une part, et l'herméneutique, d'autre part, était sans doute
sauvegardée ; et cela d'une double façon : d'un côté la réflexion était arrachée à son abstraction et à son
illusion d'immédiateté et de transparence par le long détour que lui imposait l'interprétation des signes,
des œuvres et des monuments ; ainsi l'herméneutique assurait le passage de la réflexion abstraite à la
réflexion concrète, sans briser le principe même de l'analyse effective ; de l'autre côté, l'analyse
purement sémantique des symboles et des mythes se trouvait soustraite à la tentation d'un pur jeu de
langage, dans la mesure où elle trouvait un ancrage dans le vœu d'une compréhension de soi plus vaste,
plus lucide et plus véridique ; en progressant ensemble, la compréhension des signes et la
compréhension de soi ne brisaient pas la corrélation de la méthode réflexive et de l'herméneutique.
Et pourtant l'espèce de serment sur lequel se termine la Symbolique du mal − « le symbole
donne à penser » − n'a pas encore été tenu. Le symbole est-il seulement une forme provisoire et
imaginative du concept ? Si oui, dans quelle philosophie peut-il être pensé radicalement ? C'est la
question de Hegel et de Schelling. Sinon, une philosophie qui préserve le primat du symbole sur le
concept est-elle encore une philosophie, c'est-à-dire une entreprise rationnelle ?
Cette question s'est dressée devant moi comme une paroi. On trouvera dans mon récent recueil
d'articles − le Conflit des interprétations (IV° partie. La Symbolique du mal interprétée) − quelques
tentatives pour résoudre ce problème de la rationalité du symbolique. Mais, parallèlement à ces essais
partiels, j'ai cherché la solution dans des voies moins abruptes et moins directes. J'en ai exploré deux, au
cours de cette décade.
La première fut celle de la psychanalyse. J'y avais été conduit de plusieurs côtés ; dès le
Volontaire et l'Involontaire, j'avais rencontré l’Inconscient comme une figure de l'involontaire absolu ;
quant à la Symbolique du mal, elle imposait à ma considération aussi bien le problème limité de la
culpabilité que le problème beaucoup plus vaste du fantasme et des illusions. Leur interprétation relevait,
à l'évidence, d'une autre interprétation que celle que je pratiquais. J'étais ainsi affronté à l'idée du conflit
des interprétations. Je crus quelque temps que l'explication freudienne de la culpabilité et la
confrontation de deux herméneutiques opposées − réflexive et psychanalytique − pourrait fournir un
chapitre du tome suivant de la Philosophie de la volonté qui se placerait sur le trajet du symbole au
concept. Mais l'obstacle freudien exigea un débat global avec le système entier de la psychanalyse ; je lui
consacrai tout un volume : de L'Interprétation. Essai sur Freud. Afin de bien dissocier la reconstruction
du système de mon débat philosophique avec lui, je distinguai, dans mon ouvrage la lecture de Freud et
une interprétation philosophique, à savoir la reprise de l'inconscient freudien dans une philosophie de la
réflexion concrète. Mais cette interprétation n'est déjà plus la simple reprise de l'herméneutique réflexive
qui régnait encore dans la Symbolique du mal : la crise de la notion de sujet, engendrée par les notions
topiques et économiques du freudisme, affecte le projet même d'une philosophie réflexive ; la
compréhension de soi y apparaît moins comme une certitude initiale que comme une vérité terminale,
par-delà la critique des illusions premières ; le détour par les signes, déjà requis par la Symbolique du
mal, devenait un périple interminable, où le Cogito se réduit à une vérité formelle, à laquelle seul le
procès entier de l'interprétation et des interprétations serait susceptible de donner une chair.
La seconde voie que j'explorai, avant de reprendre le problème au point où l'avait conduit ma
Symbolique du mal, fut la sémantique des linguistes français et des « analystes » anglais. Je ne pus en
effet me satisfaire longtemps de la conception schématique du sens multiple que j'appliquais au symbole.
Les études et l'enseignement de philosophie du langage que je poursuivis parallèlement à mes
recherches sur Freud, m'ont fait prendre conscience de la difficulté d'aborder la notion de polysémie sans
une longue préparation et une maîtrise suffisante des phénomènes les plus généraux et les plus
fondamentaux du langage. Ce nouveau détour, à la différence du précédent, n'a donné lieu à aucun
ouvrage comparable à celui que je consacrai à Freud, mais seulement à plusieurs articles dont les
principaux sont reproduits dans le Conflit des Interprétations (I° partie : herméneutique et
structuralisme). Il en ressort un certain parallélisme et une certaine convergence entre les problèmes
posés à une philosophie de type réflexif par la psychanalyse et par la linguistique. Les lois structurales de
la langue, en tant que système « inconscient » conditionnant la parole, mettent en question, autant que
la psychanalyse le fait, le primat du sujet et la maîtrise qu’il prétend exercer sur ses contenus de pensée
et d'action. Dans les deux cas l'affirmation du sujet est comme ajournée, reportée au terme d'un long
détour. Mais, dans les deux cas aussi, le sens de ce détour est dans la promotion d'une nouvelle qualité
de subjectivité, enrichie de toutes les illusions perdues. J'avais esquissé, dans le livre sur Freud, la voie
d'une reprise du sujet, au-delà de la déprise que demande la psychanalyse. J'esquisse dans mes articles
la voie parallèle qu'offre une réflexion sur le langage ; je m'y appuie essentiellement sur la fonction de la
phrase dans le discours ; j'y discerne une organisation distincte de celle de la langue, qui seule relève
proprement de l'analyse structurale ; alors que la langue constitue un système clos d'entités discrètes,
en nombre limité, définies seulement par des relations négatives et oppositives, − et par conséquent ne
postule ni référence à un monde qui serait extérieur au langage, ni désignation d'un sujet qui le
constituerait, − la phrase, dans l'instance de discours, opère chaque fois la synthèse du système dans un
événement et dans un acte ; c'est cet acte synthétique qui tout à la fois fait référence à un monde sur
quoi on dit quelque chose et à un sujet qui parle.
Ainsi j'étais conduit, par la psychanalyse et par la linguistique, à remettre en chantier la
philosophie initiale de la réflexion, à allonger le détour par les structures de l'inconscient et de la langue,
et à retrouver la puissance réflexive de l’ego au-delà de la traversée des régions de l'anonyme et de
l’impersonnel. L'article intitulé : « la question du sujet : le défi de la sémiologie » (le Conflit des
Interprétations. III° partie : herméneutique et phénoménologie) fait le point de ma position actuelle sur
ces problèmes.
Mon projet d'enseignement serait la continuation même de ma philosophie de la volonté, reprise
au point où l’a laissée la Symbolique du mal et enrichie par mes recherches latérales sur l'inconscient et
sur le langage.
J'appelle ce projet : Discours philosophique de l'action.
Je préfère aujourd'hui le terme d'action à celui de volonté pour plusieurs raisons. D'abord, une
réflexion philosophique doit, plus que jamais, se développer dans un rapport étroit avec les sciences
humaines, lesquelles mettent en œuvre des notions telles que comportement, conduite, action, qui
désignent la matière sur laquelle le philosophe réfléchit ; à cet égard, la dichotomie entre la
phénoménologie et la science ne me satisfait plus ; la relation sommaire de « diagnostic » que je voyais
il y a 20 ans entre l'observation objective et le vécu, entre cause et motif , entre corps propre et corps
objet, doit être entièrement remise en chantier. Seconde raison de parler d'action plutôt que de volonté :
la philosophie classique n'a connu sous ce nom que la zone éclairée de l'action humaine ; il s'agit
aujourd'hui d'intégrer la pulsion, le désir, au champ pratique. Enfin, troisième raison, l'action humaine se
réalise dans des structures techniques, économiques, politiques, à l'égard desquelles la volonté constitue
seulement le segment intentionnel accessible à l'introspection. C'est donc un concept à la fois plus ample
et plus articulé que celui de volonté qui doit unifier ce que je viens d'appeler le champ pratique.
Maintenant quel discours est en propre celui du philosophe ?
Je voudrais explorer plusieurs possibilités que je hiérarchise provisoirement de la façon suivante
: à un premier niveau, celui d'une sémantique philosophique, se regrouperaient des analyses qu'on peut
dire phénoménologiques avant la lettre, comme celle d'Aristote dans l'admirable livre III de l' Éthique à
Nicomaque, − puis les analyses proprement phénoménologiques, − puis les analyses plus neuves de la
linguistic analysis des Anglais, auxquelles j'ai déjà consacré plusieurs cours à la Sorbonne et à Nanterre ;
en effet, on trouve chez Austin, Strawson, Hampshire, Mrs Anscombe, Searle, une théorie des énoncés
sur l'action qui demande à être combinée avec l'analyse essentielle de Husserl. Ainsi serait mise en place
une sémantique de l'action qui ne tomberait pas dans le piège d'une psychologie phénoménologique
(justement dénoncée par Jean Piaget) et qui ne ferait pas non plus double emploi avec une psychologie
du comportement, ou une sociologie de l'action ; elle serait d'abord instruite par ces sciences, avant de
prétendre les réfléchir au plan des énoncés et les significations
Aussi limité que soit encore cette première approche, sa fécondité est indéniable. C'est à ce
niveau que pourrait être réalisé quelque chose d'un projet plus vaste qui me tient à cœur et auquel je
consacre par ailleurs un enseignement dans le cadre du centre de phénoménologie aux Archives Husserl
(laboratoire associé du C.N.R.S.), à savoir la confrontation et l'enrichissement mutuel de la
phénoménologie « continentale » et de l'analyse conceptuelle et linguistique « insulaire », à partir
principalement de la théorie des énoncés ; car le sens du vécu, pour parler comme Husserl, n'est pas à
chercher ailleurs que dans le sens des énoncés dans lesquelles ce vécu s'exprime ; inversement,
l'analyse linguistique, principalement lorsqu'elle est appliquée au langage ordinaire, a pour référent une
expérience vive, dont la finesse de l'instrument linguistique déploie toutes les complexités (c'est en ce
sens qu' Austin appelle sa méthode une « phénoménologie linguistique »). Enfin c'est à ce premier
niveau que peut être rendue manifeste une certaine continuité et stabilité de l'analyse philosophique à
travers l'histoire, comme le rappel du nom d'Aristote le suggérait à l'instant ; l'identité de cette
phénoménologie peut-être discernée, en dépit de la diversité des systèmes philosophiques, chez les
stoïciens, dans la scolastique, dans la philosophie classique et jusque dans l'idéalisme allemand, avant
qu'elle trouve sa justification de principe, en tant que phénoménologie, chez les auteurs contemporains.
Ainsi est-il possible de cerner un type de discours sur l'action qui soit la reprise du discours
même de l'action, selon sa sémantique propre.
Il m'apparaît maintenant que cette première sorte de discours ne peut pas et n'a jamais pu
épuiser la philosophie de la volonté et de l'action. La phénoménologie a toujours été seulement une
phase à l'intérieur d'un discours plus vaste que l'on peut appeler le discours sur l'action sensée ; chez
Aristote, en qui on peut voir le fondateur de la phénoménologie de la volonté, celle-ci n'est qu'un
segment d'analyse à l'intérieur d'un traité sur la vertu nulle c'est-à-dire sur l'excellence de l'action ; le
problème d'un accomplissement significatif de la vie humaine constitue ainsi l'enveloppe concrète de la
phénoménologie de la volonté ; plus précisément, la science architectonique à laquelle la description et
l'analyse conceptuelle du volontaire et de l'involontaire sont subordonnées, c'est la politique ; c'est donc
le discours éthico-politique qui constitue le seul discours autonome. Or, cette problématique englobante,
introduit dans le concept même de l'action une différence non phénoménologique, celle de l'arbitraire et
de la norme ; l'allemand rend mieux compte que le français de cette scission entre Willkür et Wille, qui
est fondamental dans la philosophie Kantienne et dans la philosophie Hégélienne ; la différence est ici
non phénoménologique, en ce sens que la description du libre choix convient aussi bien à l'action
insensée qu'à l'action sensée : l'arbitre est aussi bien à l'arbitraire.
Est-ce à dire que le second discours soit celui de l'éthique ? Non, si on réduit l'éthique à la
théorie de la moralité, à la façon Kantienne ; oui si on entend par éthique, à la façon de Spinoza, le
parcours entier de penser qui va de la connaissance de l'esclavage à celle de la liberté et de la béatitude,
parcours dont la théorie de la moralité n'est elle-même qu'un segment abstrait. Je préférerais parler de
philosophie pratique pour désigner ce champ de l'action sensée. C'est une théorie de la pratique, selon
toutes les dimensions de son sens, qui serait ici requise. Mais quelle sorte de discours est susceptible
d'en préserver l'unité, à travers la diversité de ses champs d'application ?
C'est ici que je voudrais mettre à l'épreuve l'hypothèse selon laquelle la théorie de la pratique
requiert la sorte de discours dialectique que Hegel déploie dans les Principes de la Philosophie du Droit,
où j'ai tendance à reconnaitre la Philosophie de la Volonté par excellence ; cette œuvre, en effet, est tout
entière appliquée à opérer le passage de la volonté arbitraire à la volonté sensée, à travers une série de
sphères d'actualisation de la liberté : sphère du droit abstrait, sphère de la moralité subjective, sphère
de la moralité objective, laquelle est pour l'essentiel celle de l' économique et du politique. Or ce passage
et cette série de passages ne peuvent être opérés dans un discours de l'identité, lequel suscite une
masse d'antinomies sans médiation, comme on voit dans la philosophie pratique de Kant. L'actualisation
de la liberté, fil conducteur de la philosophie pratique, n'est pensable que dans un discours qui surmonte
l'antinomie par la médiation.
Mon projet, qui n'est pas historique mais systématique, rencontre donc l'énorme question de
savoir ce qui peut aujourd'hui être réactivé de cette sorte de philosophie. Le problème serait sans
solution si la reprise du discours hégélien, sinon dans ses articulations principales du moins dans son
modèle d'intelligibilité, requérait que l'on adopte le système hégélien dans sa totalité. C'est une question
de savoir si la dialectique y a partout le même sens et fait vraiment système ; je croirais volontiers que
la volonté, en tant que telle, développe une dialectique propre, qui est une dialectique de dialectiques
partielles. J'en citerai seulement trois espèces : aucune philosophie de la volonté n'est possible si elle ne
se donne un instrument de pensée qui pose et surmonte l'antinomie du désirable et du raisonnable :
pour Aristote déjà, la volonté est un « désir délibératif » ; après Freud, la tâche est encore plus urgente
de comprendre les articulations entre la pulsion et l'action consciente et responsable. Seconde dialectique
: l'action coordonne deux ordres de représentations, la représentation théorique et la représentation
pratique : on a conçu longtemps cette conjonction sur le mode d'une interaction entre deux « facultés »,
telles que l'entendement et la volonté ; ce qui est ici à penser, c'est la promotion mutuelle du théorique
et du pratique dans une sorte de spirale du sens. Enfin, la transition de la volonté subjective, objet réduit
de la phénoménologie de la volonté, à la volonté objective qui sous-tend les déterminations éthico-
politiques de la volonté, n’est pas pensable hors d’une constitution dialectique de la volonté ; c'est
pourquoi l'unité de la problématique de la volonté, encore préservée par Aristote, a été perdue au cours
des siècles ; une psychologie de la décision et de l'assentiment a occupé toute la place, tandis que le
noyau politique émigrait hors du champ de la philosophie de la volonté, pour graviter autour des
concepts fondamentaux de la philosophie politique, concepts de pouvoir, de puissance, de souveraineté ;
l'unité dialectique du problème de la volonté − en tant qu'individuelle et collective, psychologique et
politique − est alors perdue. C'est la fonction d'une philosophie qui prend pour axe l'actualisation de la
liberté, de remembrer le domaine de l'action sensée, brisé entre la psychologie et la science politique.
Ainsi, la philosophie de la volonté est pour l'essentiel une philosophie des transitions, des
passages, des dissociations surmontées et maintenues. Oserai-je risquer l'hypothèse de travail que la
volonté est le dialectique par excellence ? S'il en était ainsi, nous serions ici au centre de constitution et
de prolifération d'une philosophie dialectique que rien ne contraindrait à clore dans un savoir absolu. Au
contraire, si le volontaire est le dialectique et si le dialectique est le volontaire, les structures de l'action
sensée exigent, outre la possibilité de récapituler le sens déjà échu dans un système provisoire,
l'exigence d'ouvrir, voire de briser, le système par la flèche intentionnelle du désir. La structure de
l'action sensée exige à la fois, pour avoir sens − pour faire sens −, ouverture et fermeture : fermeture
par le savoir et ouverture par l'espérance. Finalement cette structure fermée-ouverte du système de
l'action nous permet d'échapper à l'alternative apparente entre Kant et Hegel. Le Hegel de la Philosophie
du Droit a vaincu, à mon avis, le Kant de la Critique de la Raison Pratique, ou plutôt celui de l'Analytique
de la raison pratique ; en effet, un formalisme moral ne peut pas, sans contradiction insoluble, satisfaire
aux exigences d'une philosophie de la réalisation de la liberté ; c'est pourquoi la moralité subjective de
Kant ne peut être qu'un moment abstrait d'une philosophie pratique. Par contre, le Kant de la philosophie
de l'illusion transcendantale, le Kant de la philosophie des limites, le Kant de la dialectique de la Raison
Pratique, le Kant de la Religion dans les limites de la simple raison, n'a pas été vaincu par Hegel. Les
deux dialectiques, celle de Hegel et celle de Kant, sont à penser ensemble, sur la base d'une réflexion
appliquée aux structures de l'action sensée et au jeu de la fermeture par le savoir déjà échu et de
l'ouverture par le désir et l'espérance. Une théorie du sens, comme direction de sens, serait alors celle
qui exprimerait le mieux les exigences du discours de l'action sensée.
C'est sur la base de ce discours que pourraient être reprises les questions laissées en suspens à
la fin de la Symbolique du Mal et dont j'évoquais plus haut le caractère embarrassant : si « le symbole
donne à penser », quelle est la place de l'herméneutique des symboles dans le discours philosophique ?
Ce que je viens d'appeler le jeu de la fermeture de l'ouverture du discours sensé, laisse apercevoir la
place en creux de l'interprétation.
Qu'une philosophie de la volonté doive s'avancer jusqu'à ce point où une dialectique appelle une
herméneutique, la tradition philosophique elle-même le suggère : chez Aristote, l’Éthique s'appuie sur
une conception de l'action comme ergon de l'homme et cet ergon révèle quelque chose d'un fonds d'être
qui est lui-même energeia. Or les notions de puissance, d’acte, etc., appartiennent à ce plan de discours
où il est avoué que « l’être se dit de multiples façons ». Cette interrogation suggérée par la lecture
d'Aristote reçoit un renfort immense de la part de Nietzsche. Il n'est pas possible, en effet, de faire
aujourd'hui une philosophie de la volonté qui ne soit pas en débat avec Nietzsche autant qu'avec
Aristote, Kant et Hegel. Or, avec Nietzsche, nous avons à la fois la tentative la plus extrême pour penser
l'émergence de l’être comme volonté − quoi que signifie volonté de puissance − et la reconnaissance du
caractère perspectiviste de la vérité. Ontologie et interprétation se conjoignent au point le plus extrême
de l'interrogation philosophique.
Est-ce à dire que le discours sur l'action sensée est aboli ? Il ne l'est pas plus, sans doute, que la
sémantique de l'action n’est abolie par le discours dialectique. Il le serait, si nous n'avions ni le droit ni la
possibilité de desserrer la prise du savoir absolu sur la dialectique de la volonté sensée. Entre dialectique
et herméneutique il faudrait alors choisir. Par contre, s'il s'avère que le discours dialectique est toujours
solidaire de quelques interprétations concernant l’être de l’agir, un passage pourrait être ouvert qui
joindrait le discours dialectique et le discours herméneutique. La confrontation entre Hegel et Nietzsche
est peut-être une tâche écrasante ; elle doit du moins être tentée et assumée. C'est précisément le sens
de mon projet d'enseignement de réfléchir sur la hiérarchie des discours philosophiques : discours
phénoménologique, discours dialectique, discours herméneutique. Le langage, sans cesse consulté, n’est
pas ici un monde clos sur lui-même. Aucune hypostase linguistique ne pèse sur un projet qui s'appelle
discours de l'action sensée. Bien au contraire, la progression d'un discours à l'autre jalonne la conquête
de « la chose même ». C'est pourquoi je me risque à dire : discours de l'action et non pas seulement
discours sur l'action. C'est vraiment la progressive révélation du sens d'être de la réalité humaine comme
volonté et comme action qui est l'enjeu de cette investigation qui se poursuit dans et par le discours.
L'horizon le plus lointain de mon projet serait de montrer comment la hiérarchie des discours
accompagne la conquête progressive, à partir du phénomène du « Volontaire et de l' Involontaire », des
racines de l’agir humain. Ne serait-ce pas la fonction d'une philosophie de la volonté et de l'action que de
restituer la dimension d'une ontologie où l’être est vraiment acte et agir ?
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION.
dddd PAUL RICŒUR LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION Projet d'enseignement au Collège de France, 1969 © Fonds Ricœur, 2015 Archives du fonds Ricœur, dossier CL 14, feuillets 31752-31759 LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION. Projet d'enseignement au Collège de France Mon projet d'enseignement se situe dans le prolongement de la Philosophie de la volonté qui est le fil conducteur de mes publications. Initialement, cette philosophie avait pour ambition d'étendre à la fonction pratique de la conscience les principes et les méthodes de description, d'analyse et de compréhension, que Husserl avait, par priorité et par privilège, appliqués à la fonction théorique, en descendant de la logique à la perception. J'avais pris une connaissance exacte de ces principes et de ses méthodes en traduisant, pour ma thèse complémentaire, les Idées pour une phénoménologie pure du fondateur de la phénoménologie. Le Volontaire et l’Involontaire, qui fut ma thèse principale de doctorat, représente la première réalisation de ce projet. J'y appréhendais successivement les notions de projet, de décision, de choix, de motion volontaire, de consentement à l'involontaire. Les limites de ce travail ne tardèrent pas à apparaître ; j'y rencontrais, sans pouvoir le résoudre, le conflit entre une phénoménologie de la motivation et une explication objective et causale du comportement. En outre, l'ampleur du problème de l'action humaine n'était pas aperçue; en particulier, les conditions d'une action sensée, qu'elle soit technique, économique ou politique, le problème même du sens dans la sphère de l'action, n'y étaient pas abordés ; la description restait cantonnée dans les bornes d'une psychologie phénoménologique appliquée au « vécu » de la volition, à travers tous ses degrés de maîtrise et d'impuissance. Le premier élargissement de l'horizon de recherche vint avec l'investigation d'une des expériences les plus significatives de l'existence humaine, celle de la volonté mauvaise ; sans aucunement m’engager dans des jugements de caractère moral sur ce qui pourrait être tenu universellement pour bon ou mauvais − si tant est qu'un tel jugement puisse être prononcé − je m'attachais aux conditions mêmes de l’aveu de la volonté mauvaise. Je discernai d'abord diverses structures de faillibilité − de fragilité et de faille − propres à la réalité humaine, en un sens assez proche de ce que Pascal appelle la « disproportion » ; cette investigation constitue l'objet de l'Homme faillible , tome 2 de la Philosophie de la Volonté ; ce travail restait dans les limites d'une méthode réflexive qui m'éloignait quelque peu de Husserl pour me rapprocher de Jean Nabert, dont je compris assez tardivement l'œuvre, bien qu'elle eût été digne d'avoir inspiré les premiers travaux. Avec la Symbolique du Mal, je franchis un pas décisif ; la clarté de la psychologie phénoménologique, l'immédiateté de la méthode réflexive se trouvaient mises en défaut par des formes de discours que je trouvais impliquées dans l'aveu même du mal ; pour la première fois, je rencontrais des expressions d'une structure sémantique déroutante, à savoir des expressions à sens double ou multiple, qui appelaient une méthode d'interprétation ou de déchiffrage. Bref, j’étais mis en face des expressions symboliques et mythiques du mal humain et j'étais requis par ces expressions de prolonger la méthode réflexive par une herméneutique, c'est-à-dire une méthode interprétative. Je consacrai ainsi le troisième tome de ma Philosophie de la Volonté à l'étude des symboles principaux de l’aveu, véhiculés par les cultures que je trouve à la source de ma propre mémoire, principalement l'hébraïque et la grecque. Sans m’élever encore à une théorie générale du symbole, je m'appliquai du moins à constituer une typologie et une critériologie de la symbolique sous-jacente à la conceptualité de la culture occidentale concernant le sens du mal, qu'on l'appelle péché ou culpabilité. Mais ce travail ouvrait plus de questions qu'il n'en résolvait. La continuité entre la méthode phénoménologique et réflexive, d'une part, et l'herméneutique, d'autre part, était sans doute sauvegardée ; et cela d'une double façon : d'un côté la réflexion était arrachée à son abstraction et à son illusion d'immédiateté et de transparence par le long détour que lui imposait l'interprétation des signes, des œuvres et des monuments ; ainsi l'herméneutique assurait le passage de la réflexion abstraite à la réflexion concrète, sans briser le principe même de l'analyse effective ; de l'autre côté, l'analyse purement sémantique des symboles et des mythes se trouvait soustraite à la tentation d'un pur jeu de langage, dans la mesure où elle trouvait un ancrage dans le vœu d'une compréhension de soi plus vaste, plus lucide et plus véridique ; en progressant ensemble, la compréhension des signes et la compréhension de soi ne brisaient pas la corrélation de la méthode réflexive et de l'herméneutique. Et pourtant l'espèce de serment sur lequel se termine la Symbolique du mal − « le symbole donne à penser » − n'a pas encore été tenu. Le symbole est-il seulement une forme provisoire et imaginative du concept ? Si oui, dans quelle philosophie peut-il être pensé radicalement ? C'est la question de Hegel et de Schelling. Sinon, une philosophie qui préserve le primat du symbole sur le concept est-elle encore une philosophie, c'est-à-dire une entreprise rationnelle ? Cette question s'est dressée devant moi comme une paroi. On trouvera dans mon récent recueil d'articles − le Conflit des interprétations (IV° partie. La Symbolique du mal interprétée) − quelques tentatives pour résoudre ce problème de la rationalité du symbolique. Mais, parallèlement à ces essais partiels, j'ai cherché la solution dans des voies moins abruptes et moins directes. J'en ai exploré deux, au cours de cette décade. La première fut celle de la psychanalyse. J'y avais été conduit de plusieurs côtés ; dès le Volontaire et l'Involontaire, j'avais rencontré l’Inconscient comme une figure de l'involontaire absolu ; quant à la Symbolique du mal, elle imposait à ma considération aussi bien le problème limité de la culpabilité que le problème beaucoup plus vaste du fantasme et des illusions. Leur interprétation relevait, à l'évidence, d'une autre interprétation que celle que je pratiquais. J'étais ainsi affronté à l'idée du conflit des interprétations. Je crus quelque temps que l'explication freudienne de la culpabilité et la confrontation de deux herméneutiques opposées − réflexive et psychanalytique − pourrait fournir un chapitre du tome suivant de la Philosophie de la volonté qui se placerait sur le trajet du symbole au concept. Mais l'obstacle freudien exigea un débat global avec le système entier de la psychanalyse ; je lui consacrai tout un volume : de L'Interprétation. Essai sur Freud. Afin de bien dissocier la reconstruction du système de mon débat philosophique avec lui, je distinguai, dans mon ouvrage la lecture de Freud et une interprétation philosophique, à savoir la reprise de l'inconscient freudien dans une philosophie de la réflexion concrète. Mais cette interprétation n'est déjà plus la simple reprise de l'herméneutique réflexive qui régnait encore dans la Symbolique du mal : la crise de la notion de sujet, engendrée par les notions topiques et économiques du freudisme, affecte le projet même d'une philosophie réflexive ; la compréhension de soi y apparaît moins comme une certitude initiale que comme une vérité terminale, par-delà la critique des illusions premières ; le détour par les signes, déjà requis par la Symbolique du mal, devenait un périple interminable, où le Cogito se réduit à une vérité formelle, à laquelle seul le procès entier de l'interprétation et des interprétations serait susceptible de donner une chair. La seconde voie que j'explorai, avant de reprendre le problème au point où l'avait conduit ma Symbolique du mal, fut la sémantique des linguistes français et des « analystes » anglais. Je ne pus en effet me satisfaire longtemps de la conception schématique du sens multiple que j'appliquais au symbole. Les études et l'enseignement de philosophie du langage que je poursuivis parallèlement à mes recherches sur Freud, m'ont fait prendre conscience de la difficulté d'aborder la notion de polysémie sans une longue préparation et une maîtrise suffisante des phénomènes les plus généraux et les plus fondamentaux du langage. Ce nouveau détour, à la différence du précédent, n'a donné lieu à aucun ouvrage comparable à celui que je consacrai à Freud, mais seulement à plusieurs articles dont les principaux sont reproduits dans le Conflit des Interprétations (I° partie : herméneutique et structuralisme). Il en ressort un certain parallélisme et une certaine convergence entre les problèmes posés à une philosophie de type réflexif par la psychanalyse et par la linguistique. Les lois structurales de la langue, en tant que système « inconscient » conditionnant la parole, mettent en question, autant que la psychanalyse le fait, le primat du sujet et la maîtrise qu’il prétend exercer sur ses contenus de pensée et d'action. Dans les deux cas l'affirmation du sujet est comme ajournée, reportée au terme d'un long détour. Mais, dans les deux cas aussi, le sens de ce détour est dans la promotion d'une nouvelle qualité de subjectivité, enrichie de toutes les illusions perdues. J'avais esquissé, dans le livre sur Freud, la voie d'une reprise du sujet, au-delà de la déprise que demande la psychanalyse. J'esquisse dans mes articles la voie parallèle qu'offre une réflexion sur le langage ; je m'y appuie essentiellement sur la fonction de la phrase dans le discours ; j'y discerne une organisation distincte de celle de la langue, qui seule relève proprement de l'analyse structurale ; alors que la langue constitue un système clos d'entités discrètes, en nombre limité, définies seulement par des relations négatives et oppositives, − et par conséquent ne postule ni référence à un monde qui serait extérieur au langage, ni désignation d'un sujet qui le constituerait, − la phrase, dans l'instance de discours, opère chaque fois la synthèse du système dans un événement et dans un acte ; c'est cet acte synthétique qui tout à la fois fait référence à un monde sur quoi on dit quelque chose et à un sujet qui parle. Ainsi j'étais conduit, par la psychanalyse et par la linguistique, à remettre en chantier la philosophie initiale de la réflexion, à allonger le détour par les structures de l'inconscient et de la langue, et à retrouver la puissance réflexive de l’ego au-delà de la traversée des régions de l'anonyme et de l’impersonnel. L'article intitulé : « la question du sujet : le défi de la sémiologie » (le Conflit des Interprétations. III° partie : herméneutique et phénoménologie) fait le point de ma position actuelle sur ces problèmes. Mon projet d'enseignement serait la continuation même de ma philosophie de la volonté, reprise au point où l’a laissée la Symbolique du mal et enrichie par mes recherches latérales sur l'inconscient et sur le langage. J'appelle ce projet : Discours philosophique de l'action. Je préfère aujourd'hui le terme d'action à celui de volonté pour plusieurs raisons. D'abord, une réflexion philosophique doit, plus que jamais, se développer dans un rapport étroit avec les sciences humaines, lesquelles mettent en œuvre des notions telles que comportement, conduite, action, qui désignent la matière sur laquelle le philosophe réfléchit ; à cet égard, la dichotomie entre la phénoménologie et la science ne me satisfait plus ; la relation sommaire de « diagnostic » que je voyais il y a 20 ans entre l'observation objective et le vécu, entre cause et motif , entre corps propre et corps objet, doit être entièrement remise en chantier. Seconde raison de parler d'action plutôt que de volonté : la philosophie classique n'a connu sous ce nom que la zone éclairée de l'action humaine ; il s'agit aujourd'hui d'intégrer la pulsion, le désir, au champ pratique. Enfin, troisième raison, l'action humaine se réalise dans des structures techniques, économiques, politiques, à l'égard desquelles la volonté constitue seulement le segment intentionnel accessible à l'introspection. C'est donc un concept à la fois plus ample et plus articulé que celui de volonté qui doit unifier ce que je viens d'appeler le champ pratique. Maintenant quel discours est en propre celui du philosophe ? Je voudrais explorer plusieurs possibilités que je hiérarchise provisoirement de la façon suivante : à un premier niveau, celui d'une sémantique philosophique, se regrouperaient des analyses qu'on peut dire phénoménologiques avant la lettre, comme celle d'Aristote dans l'admirable livre III de l' Éthique à Nicomaque, − puis les analyses proprement phénoménologiques, − puis les analyses plus neuves de la linguistic analysis des Anglais, auxquelles j'ai déjà consacré plusieurs cours à la Sorbonne et à Nanterre ; en effet, on trouve chez Austin, Strawson, Hampshire, Mrs Anscombe, Searle, une théorie des énoncés sur l'action qui demande à être combinée avec l'analyse essentielle de Husserl. Ainsi serait mise en place une sémantique de l'action qui ne tomberait pas dans le piège d'une psychologie phénoménologique (justement dénoncée par Jean Piaget) et qui ne ferait pas non plus double emploi avec une psychologie du comportement, ou une sociologie de l'action ; elle serait d'abord instruite par ces sciences, avant de prétendre les réfléchir au plan des énoncés et les significations Aussi limité que soit encore cette première approche, sa fécondité est indéniable. C'est à ce niveau que pourrait être réalisé quelque chose d'un projet plus vaste qui me tient à cœur et auquel je consacre par ailleurs un enseignement dans le cadre du centre de phénoménologie aux Archives Husserl (laboratoire associé du C.N.R.S.), à savoir la confrontation et l'enrichissement mutuel de la phénoménologie « continentale » et de l'analyse conceptuelle et linguistique « insulaire », à partir principalement de la théorie des énoncés ; car le sens du vécu, pour parler comme Husserl, n'est pas à chercher ailleurs que dans le sens des énoncés dans lesquelles ce vécu s'exprime ; inversement, l'analyse linguistique, principalement lorsqu'elle est appliquée au langage ordinaire, a pour référent une expérience vive, dont la finesse de l'instrument linguistique déploie toutes les complexités (c'est en ce sens qu' Austin appelle sa méthode une « phénoménologie linguistique »). Enfin c'est à ce premier niveau que peut être rendue manifeste une certaine continuité et stabilité de l'analyse philosophique à travers l'histoire, comme le rappel du nom d'Aristote le suggérait à l'instant ; l'identité de cette phénoménologie peut-être discernée, en dépit de la diversité des systèmes philosophiques, chez les stoïciens, dans la scolastique, dans la philosophie classique et jusque dans l'idéalisme allemand, avant qu'elle trouve sa justification de principe, en tant que phénoménologie, chez les auteurs contemporains. Ainsi est-il possible de cerner un type de discours sur l'action qui soit la reprise du discours même de l'action, selon sa sémantique propre. Il m'apparaît maintenant que cette première sorte de discours ne peut pas et n'a jamais pu épuiser la philosophie de la volonté et de l'action. La phénoménologie a toujours été seulement une phase à l'intérieur d'un discours plus vaste que l'on peut appeler le discours sur l'action sensée ; chez Aristote, en qui on peut voir le fondateur de la phénoménologie de la volonté, celle-ci n'est qu'un segment d'analyse à l'intérieur d'un traité sur la vertu nulle c'est-à-dire sur l'excellence de l'action ; le problème d'un accomplissement significatif de la vie humaine constitue ainsi l'enveloppe concrète de la phénoménologie de la volonté ; plus précisément, la science architectonique à laquelle la description et l'analyse conceptuelle du volontaire et de l'involontaire sont subordonnées, c'est la politique ; c'est donc le discours éthico-politique qui constitue le seul discours autonome. Or, cette problématique englobante, introduit dans le concept même de l'action une différence non phénoménologique, celle de l'arbitraire et de la norme ; l'allemand rend mieux compte que le français de cette scission entre Willkür et Wille, qui est fondamental dans la philosophie Kantienne et dans la philosophie Hégélienne ; la différence est ici non phénoménologique, en ce sens que la description du libre choix convient aussi bien à l'action insensée qu'à l'action sensée : l'arbitre est aussi bien à l'arbitraire. Est-ce à dire que le second discours soit celui de l'éthique ? Non, si on réduit l'éthique à la théorie de la moralité, à la façon Kantienne ; oui si on entend par éthique, à la façon de Spinoza, le parcours entier de penser qui va de la connaissance de l'esclavage à celle de la liberté et de la béatitude, parcours dont la théorie de la moralité n'est elle-même qu'un segment abstrait. Je préférerais parler de philosophie pratique pour désigner ce champ de l'action sensée. C'est une théorie de la pratique, selon toutes les dimensions de son sens, qui serait ici requise. Mais quelle sorte de discours est susceptible d'en préserver l'unité, à travers la diversité de ses champs d'application ? C'est ici que je voudrais mettre à l'épreuve l'hypothèse selon laquelle la théorie de la pratique requiert la sorte de discours dialectique que Hegel déploie dans les Principes de la Philosophie du Droit, où j'ai tendance à reconnaitre la Philosophie de la Volonté par excellence ; cette œuvre, en effet, est tout entière appliquée à opérer le passage de la volonté arbitraire à la volonté sensée, à travers une série de sphères d'actualisation de la liberté : sphère du droit abstrait, sphère de la moralité subjective, sphère de la moralité objective, laquelle est pour l'essentiel celle de l' économique et du politique. Or ce passage et cette série de passages ne peuvent être opérés dans un discours de l'identité, lequel suscite une masse d'antinomies sans médiation, comme on voit dans la philosophie pratique de Kant. L'actualisation de la liberté, fil conducteur de la philosophie pratique, n'est pensable que dans un discours qui surmonte l'antinomie par la médiation. Mon projet, qui n'est pas historique mais systématique, rencontre donc l'énorme question de savoir ce qui peut aujourd'hui être réactivé de cette sorte de philosophie. Le problème serait sans solution si la reprise du discours hégélien, sinon dans ses articulations principales du moins dans son modèle d'intelligibilité, requérait que l'on adopte le système hégélien dans sa totalité. C'est une question de savoir si la dialectique y a partout le même sens et fait vraiment système ; je croirais volontiers que la volonté, en tant que telle, développe une dialectique propre, qui est une dialectique de dialectiques partielles. J'en citerai seulement trois espèces : aucune philosophie de la volonté n'est possible si elle ne se donne un instrument de pensée qui pose et surmonte l'antinomie du désirable et du raisonnable : pour Aristote déjà, la volonté est un « désir délibératif » ; après Freud, la tâche est encore plus urgente de comprendre les articulations entre la pulsion et l'action consciente et responsable. Seconde dialectique : l'action coordonne deux ordres de représentations, la représentation théorique et la représentation pratique : on a conçu longtemps cette conjonction sur le mode d'une interaction entre deux « facultés », telles que l'entendement et la volonté ; ce qui est ici à penser, c'est la promotion mutuelle du théorique et du pratique dans une sorte de spirale du sens. Enfin, la transition de la volonté subjective, objet réduit de la phénoménologie de la volonté, à la volonté objective qui sous-tend les déterminations éthico- politiques de la volonté, n’est pas pensable hors d’une constitution dialectique de la volonté ; c'est pourquoi l'unité de la problématique de la volonté, encore préservée par Aristote, a été perdue au cours des siècles ; une psychologie de la décision et de l'assentiment a occupé toute la place, tandis que le noyau politique émigrait hors du champ de la philosophie de la volonté, pour graviter autour des concepts fondamentaux de la philosophie politique, concepts de pouvoir, de puissance, de souveraineté ; l'unité dialectique du problème de la volonté − en tant qu'individuelle et collective, psychologique et politique − est alors perdue. C'est la fonction d'une philosophie qui prend pour axe l'actualisation de la liberté, de remembrer le domaine de l'action sensée, brisé entre la psychologie et la science politique. Ainsi, la philosophie de la volonté est pour l'essentiel une philosophie des transitions, des passages, des dissociations surmontées et maintenues. Oserai-je risquer l'hypothèse de travail que la volonté est le dialectique par excellence ? S'il en était ainsi, nous serions ici au centre de constitution et de prolifération d'une philosophie dialectique que rien ne contraindrait à clore dans un savoir absolu. Au contraire, si le volontaire est le dialectique et si le dialectique est le volontaire, les structures de l'action sensée exigent, outre la possibilité de récapituler le sens déjà échu dans un système provisoire, l'exigence d'ouvrir, voire de briser, le système par la flèche intentionnelle du désir. La structure de l'action sensée exige à la fois, pour avoir sens − pour faire sens −, ouverture et fermeture : fermeture par le savoir et ouverture par l'espérance. Finalement cette structure fermée-ouverte du système de l'action nous permet d'échapper à l'alternative apparente entre Kant et Hegel. Le Hegel de la Philosophie du Droit a vaincu, à mon avis, le Kant de la Critique de la Raison Pratique, ou plutôt celui de l'Analytique de la raison pratique ; en effet, un formalisme moral ne peut pas, sans contradiction insoluble, satisfaire aux exigences d'une philosophie de la réalisation de la liberté ; c'est pourquoi la moralité subjective de Kant ne peut être qu'un moment abstrait d'une philosophie pratique. Par contre, le Kant de la philosophie de l'illusion transcendantale, le Kant de la philosophie des limites, le Kant de la dialectique de la Raison Pratique, le Kant de la Religion dans les limites de la simple raison, n'a pas été vaincu par Hegel. Les deux dialectiques, celle de Hegel et celle de Kant, sont à penser ensemble, sur la base d'une réflexion appliquée aux structures de l'action sensée et au jeu de la fermeture par le savoir déjà échu et de l'ouverture par le désir et l'espérance. Une théorie du sens, comme direction de sens, serait alors celle qui exprimerait le mieux les exigences du discours de l'action sensée. C'est sur la base de ce discours que pourraient être reprises les questions laissées en suspens à la fin de la Symbolique du Mal et dont j'évoquais plus haut le caractère embarrassant : si « le symbole donne à penser », quelle est la place de l'herméneutique des symboles dans le discours philosophique ? Ce que je viens d'appeler le jeu de la fermeture de l'ouverture du discours sensé, laisse apercevoir la place en creux de l'interprétation. Qu'une philosophie de la volonté doive s'avancer jusqu'à ce point où une dialectique appelle une herméneutique, la tradition philosophique elle-même le suggère : chez Aristote, l’Éthique s'appuie sur une conception de l'action comme ergon de l'homme et cet ergon révèle quelque chose d'un fonds d'être qui est lui-même energeia. Or les notions de puissance, d’acte, etc., appartiennent à ce plan de discours où il est avoué que « l’être se dit de multiples façons ». Cette interrogation suggérée par la lecture d'Aristote reçoit un renfort immense de la part de Nietzsche. Il n'est pas possible, en effet, de faire aujourd'hui une philosophie de la volonté qui ne soit pas en débat avec Nietzsche autant qu'avec Aristote, Kant et Hegel. Or, avec Nietzsche, nous avons à la fois la tentative la plus extrême pour penser l'émergence de l’être comme volonté − quoi que signifie volonté de puissance − et la reconnaissance du caractère perspectiviste de la vérité. Ontologie et interprétation se conjoignent au point le plus extrême de l'interrogation philosophique. Est-ce à dire que le discours sur l'action sensée est aboli ? Il ne l'est pas plus, sans doute, que la sémantique de l'action n’est abolie par le discours dialectique. Il le serait, si nous n'avions ni le droit ni la possibilité de desserrer la prise du savoir absolu sur la dialectique de la volonté sensée. Entre dialectique et herméneutique il faudrait alors choisir. Par contre, s'il s'avère que le discours dialectique est toujours solidaire de quelques interprétations concernant l’être de l’agir, un passage pourrait être ouvert qui joindrait le discours dialectique et le discours herméneutique. La confrontation entre Hegel et Nietzsche est peut-être une tâche écrasante ; elle doit du moins être tentée et assumée. C'est précisément le sens de mon projet d'enseignement de réfléchir sur la hiérarchie des discours philosophiques : discours phénoménologique, discours dialectique, discours herméneutique. Le langage, sans cesse consulté, n’est pas ici un monde clos sur lui-même. Aucune hypostase linguistique ne pèse sur un projet qui s'appelle discours de l'action sensée. Bien au contraire, la progression d'un discours à l'autre jalonne la conquête de « la chose même ». C'est pourquoi je me risque à dire : discours de l'action et non pas seulement discours sur l'action. C'est vraiment la progressive révélation du sens d'être de la réalité humaine comme volonté et comme action qui est l'enjeu de cette investigation qui se poursuit dans et par le discours. L'horizon le plus lointain de mon projet serait de montrer comment la hiérarchie des discours accompagne la conquête progressive, à partir du phénomène du « Volontaire et de l' Involontaire », des racines de l’agir humain. Ne serait-ce pas la fonction d'une philosophie de la volonté et de l'action que de restituer la dimension d'une ontologie où l’être est vraiment acte et agir ? LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE DE L'ACTION.
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Le discours philosophique de l'action - Projet d'enseignement au Collège de France
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Ricoeur, Paul (1913-2005), “Le discours philosophique de l'action”, 1969, Archives Paul Ricœur, CL 14. Consulté le 17 juin 2025, https://bibnum.explore.psl.eu/s/psl/item/66764
À propos
Mon projet d'enseignement se situe dans le prolongement de la Philosophie de la volonté qui est le fil conducteur de mes publications [...]
Notice
Date de création
1969
Langue
fre
Type
Texte
Source
Identifiant
ark:/18469/mxkf
Détenteur des droits
Fonds Ricœur
Numérisation Fonds Ricœur