religieu Autorité, pouvoir, puissance, principes de philosophie politique Préface de Paul R ICŒUR IIA247, in Autorité, pouvoir, puissance : principes de philosophie politique (Dialectica). Lausanne : l’Âge d’homme, 1969, IX-XIV © Fonds Ricœur Note éditoriale La « Préface » à Autorité, pouvoir, et puissance. Principes de philosophie politique réflexive de Philibert Secretan présente (comme le titre de l’ouvrage l’indique) un travail cherchant à aborder le politique relativement à une notion de réflexivité. Est induit ainsi un «   détour par les objets, par les monuments et par les œuvres de l’homme   » (IX) et non une phénoménologie décrivant des vécus du monde social. Ricœur identifie cette notion de «   philosophie politique réflexive   » à ce qu’il appelle «   trois décisions chargées de conséquences   » (IX). En rapportant tout d’abord la philosophie politique à un cadre réflexif, Secretan marque une différence à l’égard d’un positivisme des sciences politiques ainsi que d’une conception du politique comme une «   théorie des idéologies   » (IX). Ensuite, le fait de partir de «   philosophes du politique   » comme Platon, Hobbes et Rousseau «   se prête à une reprise réflexive   », en ce sens que ces auteurs ont en commun de mettre en scène un «   acte de révolte contre l’illusion   » (X) du politique qui s’est coupé de l’idéal de vérité promu par la philosophie. La confrontation aux approches de ces trois philosophes permet d’aborder le «   tournant   » (XI) institué par la référence aux notions de «   justice   », de «   pacte   », ou de «   contrat   » (XI). Enfin ces philosophies du politique, en tant que «   philosophies de l’ ʺ archi ʺ  », mettent au jour, par contraste, le rôle de la «   contestation ʺ anarchique ʺ  » (XI) : cette expression vise à prendre en compte la «   réfutation de la politique absolue   » au sein des philosophies de «   la restauration du sens   » du politique, des philosophies qui se déterminent à l’égard d’une «   origine   » du pouvoir et qui tendent à justifier ce dernier (XI). Cette dimension anarchique répond aussi au risque de voir se constituer un sujet «   destitué   » et «   aliéné   » (XII). Citant Secretan, Ricœur identifie le «   véritable sens de la philosophie politique réflexive   » à une «  ʺ désacralisation du politique ʺ  »   » c’est-à-dire à la nécessité de «   faire mourir la politique comme sacré   » (XII). Le point décisif de cette analyse est de considérer qu’une philosophie réflexive est plus à même que la philosophie hégélienne d’opérer une telle désacralisation. De plus, plutôt que de poursuivre cette orientation par une investigation sur les institutions, l’auteur - Ricœur le souligne - choisit une «   tâche plus détournée et plus difficile   » (XIII) : cette conception d’une politique sans absolu est ainsi rapportée aux notions de «   prudence   », mais aussi du «   tragique   » résultant de l’ambivalence propre au pouvoir, ou encore d’«   obéissance   » au sens de «   la position juste en face du pouvoir   » (XIII). Finalement, c’est au niveau de «   l’écart entre le politique et le philosophique   », voire d’une «   fracture   » (XIV) entre ces deux domaines, qu’une philosophie réflexive du politique se tient et peut renouveler une investigation sur le politique. (Samuel Lelièvre, pour le Fonds Ricœur.) Résumé : La «   Préface   » à Autorité, pouvoir, puissance : principes de philosophie politique introduit un ouvrage de Philibert Secretan qui vise à se démarquer d’une conception absolutisée du politique et qui établit le cadre d’une approche se situant dans l’écart entre le politique et le philosophique. Mots-clés : absolu   ; aliénation   ; anarchie   ; autorité   ; État   ; philosophie politique   ; philosophie réflexive   ; pouvoir   ; Secretan   ; Platon   ; Hobbes   ; Rousseau. Rubrique : Préfaces. PHILIBERT SECRETAN p gzo , oi rec Autorit é, Pou v oir , Pui ssa nce PRINCIPES DE PHILOSOPHIE POLITIQUE RÉFLEXIVE Préface de Paul Ricœur :E:DITIONS L'AGE D'HOMME · - /-0 qsj_ _ PREFACE Philibert Secretan me fait l'amitié de me demander quel- ques pages d'introduction. Je le fais d'autant plus volontiers que ce livre est plein de questions qui me sont adressées et que je reçois avec reconnaissance. Ce livre s'établit sur trois décisions chargées de consé- quences. Il opte d'abord en faveur d'une philosophie politique qui ne serait ni une science - une politologie de caractère scien- tifique - ni une théorie des idéologies ; pour la science; le fait politique est un objet tenu à distance ; pour le philosophe, il ouvre le problème du sens et fait appel à sa capacité de le reprendre, de le réapproprier pour lui-même. Mais sens de quoi ? Ici · on pouvait hésiter entre une investigation appliquée aux formes de . la réalité politique : institutions, constitutions, structures de l'Etat; l'auteur a opté pour le problème - du pouvoir ; c'est là, en effet, que la philosophie, en tant préci- sément qu'elle est responsable du sens, donc du rationnel ou du raisonnable, s'affronte à l'irrationnel et au déraisonnable : le pouvoir, c'est d'abord mon autre ; le pouvoir est d'abord énigme au regard du rationnel, scandale au regard du raisonna- ble ; c'est le noyau irrationnel qui décide du sty~e réflexif de la philosophie ; pour Secretan, comme pour moi, une philosophie réflexive s'oppose à une philosophie de l'immédiat, du vécu; c'est une philosophie du détour par les objets, par les monu- ments et par les œuvres de l'homme, c'est-à-dire par cela qui; IX d'abord, s'oppose à l'homme avant de pouvoir être reconnu par lui comme son œuvre. Cet écart initial est fortement mar- qué dès le début du présent ouvrage, par l'antinomie entre les deux métiers de philosophe et de politique. Il y a problème, pour une philosophie réflexive, parce que le sens est à con- quérir: « La vérité sur le pouvoir, dit l'auteur, est en défini- tive la vérité du pouvoir » (p. 29). Ce premier choix fait pro- blème en ceci que, initialement du moins, l'entreprise paraît côtoyer sans cesse la philosophie hegelienne - présente en creux tout au long de l'ouvrage. N'est-il pas sans cesse ques- tion de conciliation, de médiation ? La vérité du pouvoir peut-elle être discernée ailleurs que dans une philosophie de l'esprit objectif, considérée elle-même comme le segment d'une unique trajectoire du sens et de la rationalité ? Bref, comment une philosophie réflexive ne sera-t-elle pas une philosophie spéculative qui fait coïncider le réel et le rationnel ? Un second choix précise le style réflexif de cette philo~ sophie. Au lieu de réfléchir directement sur le politique - qu'il soit pouvoir ou institution - l'auteur a choisi de réflé- chir sur des philosophes du politique. Lesquels ? En choi- sissant Platon, Hobbes et Rousseau - plutôt que Aristote, Spinoza et Hegel, l'auteur a choisi une certaine philosophie qui non seulement se prête à une reprise réflexive mais qui prépare la péripétie, le retournement, par lequel la philosophie réflexive s'assurera de son originalité. En ce qui concerne la reprise réflexive des trois «maîtres de vérité », elle est rendue possible par une certaine parenté d'allure .entre les trois dé- marches ; on peut en effet y discerner, sans trop d'arbitraire, un itinéraire de conscience, inauguré par une .. certaine recon- naissance du mensonge politique incarné tour à tour par le « Sophiste » selon Platon, par le « dogmatique » selon Hobbes et par le « bourgeois » selon Rousseau ; le sens du politique requiert donc un premier acte de révolte contre l'illusion; acte négatif où la réflexion discerne l'envers du principe fondateur de la philosophie politique elle-même. Cet acte fondateur se présente dans les trois philosophies tout à la fois comme un sacrifice, un abandon, une renonciation et une instauration de l'homme raisonnable, civil et libre dont témoignent tour x à tour la notion platonicienne de justice, le pacte de Hobbes et le contrat social de Rousseau. Ce que l'homme perd en liberté sauvage et dangereuse, il le retrouve en liberté civile et pacifique. L'entrée de l'homme en contrat est ainsi le tournant de la philosophie politique ; c'est en même temps le moment du sens, propice à la reprise réflexive. Mais l'auteur a bien vu que cet itinéraire, pour être suivi jusqu'au bout, ne se borne pas à opposer l'Etat réel et mensonger à l'Etat idéal et transparent à lui-même ; il ne se borne même pas à la restauration du langage : il conduit à une nouvelle rhéto- rique, à une rhétorique vraie, symétrique de la rhétorique men- songère des sophistes ; cette nouvelle sorte de parole, déli- bérative et persuasive tout à la fois, annonce la faille par où tout à l'heure pourra s'engouffrer le doute et la contestation. On peut en effet parler de faille. Chez nos trois philosophes le sens du politique consiste bien en une restauration du sens de l'homme ; Philibert Secretan pousse dans ses derniers retran- chements la prétention implicite à l'entreprise : la restauration du sens, si elle doit être complète, signifie retour à l'origine, à l'originaire ; mais alors la philosophie politique vient occuper une place qui est peut-être usurpée: celle de l'origine, celle du fondement, celle de l'absolu, celle du sacré : n'est-ce pas ce que la nouvelle rhétorique de la délibération, du conseil, de la per- suasion, tout à la fois exprime et dissimule? C'est ici qu'in- tervient le troisième choix qui oriente la réflexion et, avec lui, la réponse à la question initiale concernant la situation exacte de la philosophie réflexive par rapport à Hegel. La décision qui est prise ici est celle d'opposer globale- ment les trois philosophies antérieures, considérées comme des philosophies de l'« archie » à la contestation « anarchique ». Pourquoi « archie » ? L'expression vient d'abord comme un jeu de mot sur le double sens du commandement (qui cor- respond à l'idée centrale de pouvoir) et du commencement au sens grec de l'archê, c'est-à-dire du fondement. En effet les philosophies de la restauration du sens sont à la fois des philosophies du retour à l'origine et de la justification du pouvoir. C'est précisément cette superposition de deux pro- blématiques du commandement et du commencement, du pou- XI voir. et du fondement. qui suscite la contestation ; on peut en effet se demander si les trois philosophies considérées, loin d'avoir rendu l'homme à lui-même, n'ont pas construit une essence étrangère à l'homme, une Puissance où l'homme est moins institué que destitué, moins réconcilié qu'aliéné. C'est en ce point que l'hegelianisme est en quelque sorte contourné. Il est au terme du mouvement dessiné par les philosophies de l'archie et au commencement des philosophies de l'anar- chie ; en ce sens il est le nœud absent de la problématique. Avec lui apparaîtrait que le fondement du . sens, lorsqu'il est placé dans l'esprit, est trop haut pour une politique humaine ; trop haut, plus qu'humain, divin, religieux. Aussi bien la philoso- phie politique n'a-t-elle pas eu recours à une catégorie plus religieuse que politique avec le sacrifice ? ( « Le sacrifice vient ici faire centre pour une philosophie politique »; p. 158). Voilà pourquoi l'anarchie est une catégorie nécessaire de la philosophie politique ; elle signifie que la philosophie politique dépasse son but quand elle croit l'atteindre.; elle veut · rendre son sens à la fois à l'humain et au politique ; mais elle atteint le plus qu'humain sous la figure d'une religion sécularisée ; l'anarchie vient alors comme réfutation de la politique absolue ; elle révèle l'excès de sens par le moyen du contresens . ; l'abso- lutisation du sens; par la destruction du sens. Du même coup se découvre le véritable sens de la philoso:. phie politique réflexive ; elle a la tâche critique de procéder à la « désacrificilisation du politique » (p. 161). Sa marge est étroite, elle doit faire mourir la politique comme · sacré, l'Etat comme divin, sans pourtant laisser la politique retomber au calcul économique, à la cybernétique et à la technocratie. C'est dans . ce moment critique que la philosophie réflexive du politique se distingue d'une philosophie hegelienne ; et c'est à l'anarchie qu'elle le doit ; grâce à celle-ci, elle se connaît elle-même comme une philosophie des limites : des limites du politique ; des limites de la prétention de l'Etat à se . sacra- liser. En ce sens le chapitre III du présent ouvrage porte bien son titre : L'impossible absolu. A partir de là, comment continuer ? L'auteur sait bien que ce serait maintenant une réflexion sur les institutions qui s'im- XII poserait, dans la mesure où l'institution réfute à la fois le sacré " de la politique absolue et l'informe de ranti-système, de l'anarchie ; cette réflexion sur les institutions devrait se développer dans le sens d'une théorie du contrôle du citoyen sur l'Etat autant que par une réflexion sur la différence entre la personne et le citoyen. Le présent ouvrage se propose, dans sa dernière partie, une tâche plus détournée et plus difficile. Il offre en quelque sorte les préparatifs épistémologiques et éthiques des analyses qui répondraient exactement à la tâche de limiter le politique et de le ramener à l'humain ; à cette préparation appartient la distinction du futur, en tant qu'objet de calcul, répondant à une science politique entièrement tech- nicisée, et de l'avenir comme projection incertaine et risquée ; cette distinction inaugure une méditation sur la prudence, complément du risque, sur les ambiguïtés du pouvoir et sur son tragique, enfin et surtout sur la catégorie de l'obéissance. Philibert Secretan a raison de dire qu'une philosophie politique doit avoir le courage de réfléchir sur une obéissance qui ne serait plus la soumission infantile ou esclave, mais la position juste en face du pouvoir ; un autre rapport se découvre alors entre l'obéissance - comme catégorie politique - et l'écoute - comme catégorie religieuse ; rapport qui n'est plus de substitution, encore moins d'usurpation. L'écoute en effet est moins une catégorie politique que la catégorie qui marque la limite du politique ; elle se tient au seuil de la région que le politique ne saurait envahir sous peine de se resacraliser; c'est ainsi que l'espace de la parole politique reçoit sa juste déli- mitation ; s'il est vrai que la magie du pouvoir passe par la parole, la thérapeutique des maladies politiques y a aussi son lieu. C'est dans cette réflexion escarpée, où le politique dans ses déterminations propres n'est pas encore pris en considé- ration, que se prépare la réponse à Hegel : le politique, dit Philibert Secretan, c'est «ce qui se dérobe à la saisie ultime du discours absolu » (p. 227) ; le dernier mot reste ainsi à la « brisure » : la personne n'est pas le citoyen, le sens de l'Etat n'est pas le sens sacré. Dès lors, la tâche de la philosophie est, certes, de désigner le sens du politique en le rattachant XIII au reste du discours, mais elle est aussi de maintenir l'écart en- tre le politique et le philosophique, ce même écart qui avait mis la réflexion en chemin. C'est dans la pensée de cette «frac- ture ~ que Philibert Secretan retient pour la cité idéale le statut du «symbole · ~: non pas le symbole au sens poétique ou my- thique, mais le symbole au sens primitif des deux « morceaux ~ du tesson à apparier, le symbole comme « monnaie brisée ~ (p. 234). Paul Ricœur XIV IIA247 Autorité, pouvoir, puissance, wordOk IIA247 Autorité, pouvoir, puissance, ok